Jardins…

13.03.2017
Jan Brueghel l'Ancien dit "de Velours",  (1568-1625) - Le Jardin d'Eden, Musée Thyssen - Bornemisza, Madrid

Jan Brueghel l'Ancien dit "de Velours", (1568-1625) - Le Jardin d'Eden, Musée Thyssen - Bornemisza, Madrid

Lieu clos où prospèrent des végétaux plantés par des humains, le jardin n’est pas aussi circonscrit que ses limites l’attestent. Terre frontière entre nature et culture remontant aux sédentarisations de l’âge néolithique, le jardin est une éclosion infinie de formes, de fonctions et de fins.

De ses missions vivrières, esthétiques, ornementales, galantes, politiques, religieuses et mythiques, de ce qu’il exprime d’une époque et d’une culture, les appellations de jardins en témoignent avec luxuriance.
Vivrier, le jardin sera potager, maraîcher, fruitier, ouvrier, biologique, sous serres, voire verger, et il est d’horticultures – d’art de cultiver les jardins au sens originel – autant que de latitudes géographiques et culturelles.

Le modèle originel est mythologique, jardin des Dieux en Olympe, jardins d’Alkinoos des Phéaciens qui émerveillent Ulysse, jardin des Hespérides puis, jardin des jardins, le jardin des Délices (Eden en hébreux)… et déjà le jardin des Oliviers d’ici-bas où le Christ passe sa dernière nuit, jardin frontière entre l’ici-là et l’au-delà. Les mots se comprennent : le lointain aïeul étymologique de paradis, via ses ancêtres latin et grec, est de langue avestique, langue indo-iranienne archaïque : pairidaeza y désignant le jardin, l’enclos, l’espace entouré.

Pourtant, entre ciel et terre, considérée 7ème merveille du monde, furent les jardins suspendus, à Babylone, que Nabuchodonosor II fit bâtir pour son épouse née en Perse, frappée de nostalgie, tristesse causée par l’éloignement du pays natal, tant lui manquaient ses monts et ses bois. Les jardins de Tivoli de l’empereur Hadrien lui furent aussi conçus afin de lui remémorer les lointaines contrées parcourues. Le jardin ouvre toujours un rêve de plain-pied : « C’était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Hamilcar. » (Gustave Flaubert, Salammbô)
L’idée antique d’un jardin miroir de l’autre monde prend sa source dans le mythe mésopotamien de Gilgamesh, personnage enorgueilli des jardins de sa cité, et modèle des jardins royaux des dynasties assyriennes. Déjà les jardins s’aventurent dans les palais, se marient à l’architecture, sont une montre du pouvoir, un ornement fleuri, un lieu de repos, de cérémonies et d’orgies, tout en demeurant une source nourricière. Ce jardin enchanté et luxuriant sera encore ressuscitée au XIe siècle par le guide des ismaéliens Hassan ibn al-Sabbah, le fameux vieux de la montagne retiré en sa forteresse d’Alamût, dont le jardin offrait un tel avant-goût du paradis à ses séïdes nizärites – ces fameux « assassins », que ceux-ci s’offraient à la mort avec plus de zèle encore, dans l’impatience de rejoindre les délices luxurieux de ce jardin artificiel plus mythique qu’historique.

Les jardins sont encore un lieu de réclusion, de silence et de médiation, ils sont le fief de l’âme qui se possède pour s’offrir au Très-Haut, aussi le jardin est-il le lieu philosophique ou religieux, celui d’Epicure, celui du cloître, ou ce jardin zen dont l’art de composition et de son entretien sont en soi une pratique spirituelle de silence intérieur et de présence sans trouble.

Jardin botanique, jardin des simples, jardin des apothicaires, le jardin médicinal est alors le lieu où l’on fait pousser les plantes propres à certains effets, là où la nature apprivoisée et apprise permet de soigner, panser, compenser, de rendre fécond, ou affectueux, ou fol !

Jardin à l’italienne, à la française, à l’anglaise, les jardins sont politiques et disent un régime de pouvoir, l’état d’esprit d’une ère. A la géométrie ornée de broderies de buis du pouvoir royal de France répondra l’appel romantique du jardin anglais qui fait une peinture pittoresque de la nature même. Plus tard encore, issue du mouvement Arts&Crafts et s’appuyant sur les études de couleurs de Michel-Eugène Chevreul, la paysagiste Gertrude Jekyll introduit les notions d’harmonies de textures, de couleurs et de parfums dans la composition des jardins.

Les jardins modernes, publics, nés pour faire respirer les métropoles, privilégient l’interaction des végétaux et la permanence des plantations. A l’heure du monde où l’écologie est une urgence, est apparue l’idée de jardin planétaire, par laquelle Gilles Clément, auteur des jardins du parc André-Citroën, désigne la responsabilité de jardinier de l’être humain dans cet espace clos que lui est devenu sa planète en danger.

Tout ceci passe sous silence le jardin secret, voire de déduit. Car le premier patron des jardins en dit long : Priape, dieu de la fertilité, en était le protecteur, gardant les vergers du mauvais œil. Y résidait la nymphe Pomone, divinité des fruits, qui savait les cultiver comme personne. Puis fut Saint-Fiacre, veillant sur la vertu des jardiniers. Mais, modeste ou colossal, privé comme public, le jardin reste toujours ce point d’ancrage et de rêverie entre ciel et terre. Il est à l’image de la personne humaine qu’il incombe à chacun de cultiver et d’arroser, comme un Jardin sous la pluie (Claude Debussy, 1904).

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