Meurtre dans un jardin anglais

17.03.2017
Meurtre dans un jardin anglais (image) - film de Peter Greenaway, sorti en 1982

Meurtre dans un jardin anglais (image) - film de Peter Greenaway, sorti en 1982

Meurtre dans un jardin anglais, par Françoise Zamour

Elégante et mystérieuse, plantée dans le jardin, face au paysage, c’est la grille qui dicte la règle du jeu. Cette plaque de verre quadrillée, qui permet au peintre Neville de respecter les proportions de son motif, utilisée par Dürer ou Le Lorrain, est en usage chez les paysagistes depuis le XVe siècle. La grille dirige le regard comme elle cadre le réel.

Neville accepte l’étrange proposition de Mrs Herbert : produire douze croquis de son jardin, qu’elle compte offrir à son mari, en échange, il disposera d’une importante somme d’argent et du corps de sa commanditaire. A mi-parcours, Neville signe le même contrat, inversé, avec Mrs Thalman : elle usera de lui à sa guise. C’est donc un jeu que le film instaure, un contrat esthétique et érotique qu’il propose au spectateur.

Dans le parc, où se situe l’essentiel de l’action, la nature est maîtrisée, dominée, voire incarcérée, comme les corps féminins, sanglés dans leurs costumes interchangeables, ou ceux des protagonistes masculins tout d’artifice et de raffinement. Peter Greenaway organise le film comme un jardin à la française : soigneuse composition de lignes, de topiaires, de parterres dessinés. Harmonie et symétrie régentent l’univers visuel, elles se redoublent dans les miroirs et les fenêtres, ou s’inversent, comme le positif et le négatif, quand le blanc des robes cède la place au noir. En plasticien averti, Greenaway joue de la tension entre les deux dimensions de la peinture, particulièrement manifestes dans les scènes de repas, et les trois dimensions du cinéma, accentuées par la profondeur des plans d’extérieur. Ce conflit pictural se trouve redoublé, dans le récit, par la tension entre maîtrise et folie.

En effet, si cadrée soit-elle, l’image n’est ni le reflet du réel, ni son révélateur, elle en est le masque. Le jardin se venge du cadre : les chants d’oiseau, le souffle du vent dans les arbres, les parfums du matin, le serviteur métamorphosé en statue mouvante imposent autant de détails insaisissables qui échappent à tous les instruments d’optique, soulignés, non sans ironie, par la musique joyeuse de Michael Nyman. Des objets incongrus, des bottes, une échelle, apparaissent dans le paysage. Ils signalent un mystère, un accident que Neville laisse naïvement entrer dans son œuvre. L’aveuglement de l’artiste éclate, tandis que les passions et les ambitions brisent toutes les règles. Mrs Thalman s’emploie alors à transformer le parc du domaine en authentique jardin anglais.   

 

Françoise Zamour enseigne l’Esthétique du Film à l’Ecole normale supérieure