Philosophie de l’odorat

14.07.2017
Portrait de Eleonora Tommasi par Silvestro Lega (1826-1895), (CRÉDITLEEMAGE - AFP)

Portrait de Eleonora Tommasi par Silvestro Lega (1826-1895), (CRÉDITLEEMAGE - AFP)

Philosophie de l’odorat, par Chantal Jaquet

La philosophie s’est peu penchée sur l’odorat. L’objectif est donc de réhabiliter ce sens négligé et d’en faire un objet de réflexion à part entière. Cette entreprise implique d’écarter les idées préconçues selon lesquelles l’odorat serait un sens faible, primitif et bestial, marqué par son caractère incommode, sale ou immoral. L’examen de la sensibilité olfactive révèle le rôle décisif des odeurs dans la constitution de la mémoire et de l’affectivité ainsi que dans la construction de l’identité et de l’altérité. Sentir l’autre ou être senti par lui, c’est toujours pénétrer dans une intimité, percevoir une essence au double sens du terme, car l’odeur, en tant qu’émanation du corps est l’extériorisation de l’espace intérieur, hors des frontières de la peau. Sentir l’autre ou ne pas pouvoir le sentir devient ainsi l’expression métaphorique d’une proximité ou d’une distance avec lui qui le place au rang d’élu ou d’exclu, selon qu’il est ou non en odeur de sainteté.

L’odorat conquiert ses lettres de noblesse à travers l’art qui exprime la beauté et la puissance des fragrances. Les expressions artistiques de l’odeur dans les romans de Huysmans, Balzac ou Proust, dans la musique de Debussy et la peinture de Gauguin, attestent de la force subtile du sens olfactif. Au-delà de la parfumerie, il faut saluer les tentatives passées ou présentes de créer un pur art des odeurs, comme le Kôdô, la voie des fragrances, au Japon, qui rassemble au cours de cérémonies des esthètes humant et appréciant des compositions odorantes originales à base de bois d’encens et de boulettes aromatiques à brûler, ou comme les performances et les Installations olfactives dans l’art contemporain.

Loin d’être vouée à l’évanescence du futile et du volatil, l’odeur alimente également la spéculation philosophique, offrant des modèles de pensée dont Lucrèce, Condillac ou Nietzsche se sont inspirés pour appréhender l’invisible, l’inouï et l’insaisissable. Ces modèles olfactifs invitent tout un chacun à être philosophe nez, flairant le mensonge et subodorant la vérité.

 

Chantal Jaquet est professeur à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, où elle enseigne l’histoire de la philosophie moderne.