Petite histoire du parfum à l’ère moderne (II)

17.07.2017
Nathalie Paley, princesse Paley, comtesse von Hohenfelsen (1905-1981)

Nathalie Paley, princesse Paley, comtesse von Hohenfelsen (1905-1981)

Le parfum moderne naît grâce aux premières molécules de synthèse. A la Belle Epoque, sa belle idylle avec la haute couture, une instance huppée en repli du monde populaire, acquerra au cours du siècle un statut de couple à la stature industrielle donnant le pli au plus grand nombre.

[SUITE] La naissance de la parfumerie moderne avec les premières molécules de synthèse et l’alliance de la fragrance au créateur de couture et au cristallier transforment le métier de parfumeur et l’industrie naissante dont il est l’artiste. Les parfums deviennent plus corpulents, boisés, poudrés, musqués. Traditionnellement, on prête à Paul Poiret d’avoir initié ce lien en 1911, par le parfum Rosine, du prénom de sa fille, qui ne fut pas un succès. Mais le grand parfum inaugural est Chanel n°5, en 1921, au bouquet floral onéreux et saturé (afin de dissuader sa contrefaçon) avec une proportion osée d’aldéhydes (synthèse d’une molécule du zeste d’agrume) : réussite, fortune et légende. L’appel d’air de ce coup de maître au vif des années folles, dont l’auteur est Ernest Beaux, est sans retour. Les grands noms de la Couture créent leur parfum, comme les modestes modistes. 800 parfums environ sont lancés entre la fin de la Grande Guerre et 1930. A la veille de la seconde guerre mondiale, avec Chanel, Guerlain, Lanvin, Patou, bientôt Nina Ricci, Balmain et Dior, le haut du pavé de la senteur est alors français sur l’essentiel du marché mondial.

Mais la composition de la fragrance est à l’américaine, sous l’influence capiteuse des femmes du cinéma de Hollywood : c’est un glamour gros de fleurs, qui laisse une trainée dense. Les femmes mondaines des années d’entre-deux guerres jouent et s’émancipent, les tailles s’affinent, parfois les cheveux tournent courts, les pantalons poussent, elles deviennent enfin leur propre maîtresse, mais sans équivoque de genre : la féminité reste plantureuse et son parfum en impose. Il est son ossature immatérielle. Les jus sont conçus pour durer, sur la peau comme sur les ans. L’Exposition internationale des Arts décoratifs de 1925 consacre le parfum au plus haut rang des industries raffinées : récent, il est déjà majeur et sa prédominance est encore à venir.  La vogue florale des fragrances féminines pondéreuses portée par une imagerie américaine perdure jusqu’aux années 50. De grands parfums naissent dont nous n’avons plus la senteur originale, d’une part parce que certaines matières naturelles d’origine sont synthétisées, de l’autre parce qu’ils ont été réorchestrés au goût de l’époque qu’indispose un sillage trop entêtant.

Les parfums masculins sont, à l’inverse, au sceau de l’épice, des notes de Cologne ou de vétiver. En ce temps, la droiture galbée du féminin et la rectitude altière du masculin se toisent et se tentent : la symbolique des genres est prééminente. L’Eau, première eau de toilette de diptyque, qui date de 1968, reste assurément un parfum pionnier en ce qu’il s’adressait ouvertement aux unes comme aux uns, mais sa notoriété confidentielle le remise au bas-côté du récit des tendances, et l’on accorde à CK One de Calvin Klein, sorti en 1994, d’être le premier parfum nommément « unisexe », sorte d’eau de Cologne contemporaine au succès planétaire. [A SUIVRE]