La magie de l’instant

14.03.2016
Un bol de prunes (Jean-Baptiste Siméon Chardin, 1699-1779)

Un bol de prunes (Jean-Baptiste Siméon Chardin, 1699-1779)

La magie de l’instant par Jean-Claude Kaufmann

Il faut comprendre tout ce qui se cache derrière le mot « bien-être ». Car il recouvre une immense révolution sensorielle qui irrésistiblement nous entraîne sans que nous en ayons toujours conscience.

La révolution du bien-être
Oublié le simple confort des années 1960, étroitement physique, objectivement mesurable. Le bien-être est une recherche sans fin, profondément existentielle, comme le proclame son nom quand on sait l’entendre : être bien. Le désir de bien-être ouvre l’être à la quête d’une version concrète et palpable du bonheur, ce Graal moderne hélas trop insaisissable. Le bien-être est le bonheur réalisé, ici et maintenant. Par l’accumulation patiente d’une infinité de plaisirs minuscules, à travers les moindres gestes, en admirant un élément de décoration superbe ou en manipulant un objet dérisoire. Cette nouvelle quête entraîne la métamorphose de tous les éléments de notre quotidien, les boutons mécaniques sont remplacés par les effleurements tactiles des commandes digitales, même un coup d’éponge peut s’avérer moins rébarbatif qu’on ne l’imagine et dégager subtilement des sensations agréables. Car l’art nouveau consiste à transformer des poussières en brins d’or, à ravir les sens par des parfums, des couleurs, des touchers caressants. Notamment dans l’univers de la maison, ce petit monde rien qu’à soi, que l’on rêve fait de beauté et de douceur reposante. Le chez-soi est d’abord et avant tout une enveloppe sensorielle.

La nouvelle culture des sensations
A chaque instant, on peut aller plus loin dans la perception du bien-être, découvrir des dimensions nouvelles de ce bonheur concrètement réalisé. Parce que cette expérience repose sur les sensations, le travail des cinq sens, qui augmentent graduellement leur compétence. Des études de psychologie expérimentale montrent par exemple que le regard est capable de saisir l’information contenue dans une image dans une fraction de seconde plus brève qu’il y a quelques années. L’ouïe, le goût, l’odorat, le toucher progressent de même. Et surtout nous augmentons notre capacité à jouir de sensations minuscules, qui autrefois étaient vaguement perçues, sans rien déclencher. C’est d’une certaine manière devenu l’art le plus répandu de notre époque : savoir transformer l’ordinaire pour provoquer une petite magie de l’instant par les sensations.

 

Jean-Claude Kaufmann, sociologue et directeur de recherche au CNRS est l’auteur du livre La chaleur du foyer chez l’éditeur Méridiens-Klincksieck.