La logique des sensations organisées de Cézanne

27.10.2017
Paul Cézanne (1839 - 1906) Le cruchon vert (Photo© RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / Tony Querrec), Musée d'Orsay, conservé au Musée du Louvre, Paris.

Paul Cézanne (1839 - 1906) Le cruchon vert (Photo© RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / Tony Querrec), Musée d'Orsay, conservé au Musée du Louvre, Paris.

Cézanne: la logique des sensations organisées, selon Lawrence Gowing, par Julia Kerninon

Lawrence Gowing, historien de l’art et grand spécialiste de l’œuvre de Cézanne, offre dans ce texte un regard nouveau sur les œuvres du maître. Peut-être parce qu’il est lui-même peintre, Gowing s’intéresse avant tout à la technique, à la matière, observe le tableau au plus près, le regarde comme il est, plutôt que de se demander ce qu’il montrerait ou prouverait, ou encore comment l’interprêter.

S’appuyant sur des citations très riches extraites de la correspondance de Cézanne ainsi que des écrits du célèbre Émile Bernard, Gowing documente solidement ses intuitions, et invite le lecteur à concentrer son attention non sur la géologie de la montagne Sainte-Victoire, mais sur les couleurs, les lignes, les rapports, comme les désignait Cézanne. « Il n’y a pas de ligne, il n’y a pas de modelé, il n’y a que des contrastes », affirmait-il tout en poursuivant avec un engagement presque religieux son apprentissage de la peinture. Observant un à un les tableaux composant l’exposition Cézanne, The Late Work, qui s’est tenue à New York au Museum of Modern Art d’octobre 1977 à janvier 1978, Gowing s’attache à retracer l’évolution du peintre, ses différentes tentatives de « lire la nature » au travers des « sensations colorantes » qu’il évoquait à la fin de sa vie.

Le catalogue d’exposition qui accompagne ce texte offre une illustration passionnante aux réflexions de Gowing : ainsi, l’aquarelle intitulée Le Cruchon vert apparaît comme une œuvre-clé dans le développement de la pensée de Cézanne, à mesure que Gowing nous en signale les singularités. L’on découvre également l’attitude particulière de Cézanne relativement aux aquarelles, qu’il considérait non comme des ébauches en vue d’un tableau, mais comme un art à part entière, qui appelait donc un autre regard et un autre traitement.

Au-delà de sa remarquable intelligence, ce court texte a pour mérite de respecter l’ambition de Cézanne jusque dans son parti-pris : Gowing juge les tableaux du peintre selon la propre table de lois de celui-ci. Il célèbre la méticulosité de Cézanne, qui est aussi sa grandeur, et conclue en évoquant le désespoir de l’artiste dans ses dernières années, lorsque celui-ci commença à comprendre qu’il mourrait probablement avant d’avoir achevé de perfectionner son art : « Le véritable accomplissement d’un grand artiste est sa vie. »

 

Julia Kerninon est Docteur en études anglophones et écrivain.