La trahison des images

15.02.2016
La clef des songes (René Magritte, 1898-1967)

La clef des songes (René Magritte, 1898-1967)

René Magritte: La trahison des image, par Serge Tisseron

C’est l’un des plus célèbres tableaux de Magritte, à lire comme une bande dessinée énigmatique de six cases. Dans la première, un œuf avec les mots « l’Acacia ». L’œuf évoque l’origine, soulignée par un mot contenant trois fois la lettre « a » qui est la première de l’alphabet. Puis une chaussure de femme et l’inscription « la Lune » évoquent une puissance féminine. Mais quel rapport ensuite entre un chapeau et « la Neige » ? Apparemment, aucun. Pourtant, leur association évoque un paysage dans lequel la neige tombe sur un chapeau qui protège celui qui le porte. La quatrième case représente une bougie accompagnée des mots « le Plafond ». L’ascension de la flamme fait suite à la chute de la neige. Puis un verre et l’inscription « l’Orage ». Quel point commun entre les deux ? L’eau bien sûr. Enfin, la dernière case associe un marteau et les mots « le Désert ».

Je propose de comprendre ce rébus comme la mise en scène du traumatisme majeur que vécut Magritte à l’âge de quatorze ans : une nuit d’orage, sa mère disparut ; on retrouva son cadavre plusieurs semaines plus tard, coincé sous un pont. Elle s’était jetée dans la rivière.

Reprenons le rébus.

À l’origine de tout (l’oeuf), il y a une femme, sa mère (seconde case). Elle « tombe » (troisième case). C’est la nuit (quatrième case). Dans la religion catholique où Magritte avait grandi, l’âme quitte le corps au moment de la mort pour s’élever vers le haut, comme la flamme d’une bougie qui symbolise, dans beaucoup de légendes, une vie. L’eau – verre et orage – a le pouvoir de l’éteindre. L’avant-dernière case évoque donc à la fois ce qui détruit la flamme-vie et le lieu où sa mère est morte, à savoir l’eau. Elle évoque aussi l’orage de la fameuse nuit. La dernière case constitue l’épilogue : le jeune Magritte se retrouve aussi seul que dans un désert dépeuplé. Il a reçu « un coup sur la tête », il craint de « devenir marteau »… Magritte n’avait pas seulement réagi à cet événement tragique par un sens aiguisé de l’absurde. Il s’était aussi doté d’un solide sens de l’humour.

 

Serge Tisseron, psychiatre et psychanalyste, est notamment l’auteur de 3/6/9/12, apprivoiser les écrans et grandir aux éditions éres.