Fleur bleue

22.06.2018
Andy Warhol (1928-1987) - 10 Foot-Flowers (1967) (©Christie’s images, 2018).

Andy Warhol (1928-1987) - 10 Foot-Flowers (1967) (©Christie’s images, 2018).

Si l’expression française usuelle « fleur bleue » désigne une sorte de romantisme mièvre où les sentiments mènent la danse, la fleur bleue du poète Novalis (1772-1801) « Die blaue Blume » est une métaphore de ce qui fut qualifié d’« idéalisme magique » où réalité et rêve s’unissent pour tisser ensemble la trame d’une conscience supérieure.

Cette fleur bleue n’en est pas moins le visage de l’amour, et pour Novalis celui de la jeune Sophie précocement ravie par la mort, que le poète avait tant aimée, et si brièvement. L’amour qu’il lui voua par-delà sa perte lui fut une ouverture à un amour plus vaste encore. Le visage de l’aimée ouvre sur le merveilleux de la Création. Ce qui se voit est déjà un arcane de la réalité surnaturelle pour qui sait le percevoir poétiquement : « J’ai fait l’intéressante découverte de la religion de l’univers visible » (lettre à Frédéric Schlegel). La poésie élève au mysticisme.  
La fleur bleue apparut en rêve à Henri d’Ofterdingen, le héros troubadour du poète, et qui donne le nom à son unique roman, inachevé.

« Dans une ivresse extatique, et pourtant conscient de la moindre impression, il se laissa emporter par le torrent lumineux qui, au sortir du bassin, s’engloutissait dans le rocher. Une sorte de douce somnolence s’empara de lui, et il rêva d’aventures indescriptibles. Il en fut tiré par une nouvelle vision. Il se trouva couché sur une molle pelouse, au bord d’une source qui jaillissait et semblait se dissiper en l’air. Des rochers d’un bleu foncé, striés de veines de toutes couleurs, s’élevaient à quelque distance; la clarté du jour qui l’entourait était plus limpide et plus douce que la lumière habituelle; le ciel était d’azur sombre, absolument pur. Mais ce qui l’attira d’un charme irrésistible, c’était, au bord même de la source, une Fleur svelte, d’un bleu éthéré, qui le frôlait de ses larges pétales éclatants. Tout autour d’elle, d’innombrables fleurs de toutes nuances emplissaient l’air de leurs senteurs les plus suaves. Lui, cependant, ne voyait que la Fleur bleue, et il la contempla longuement avec une indicible tendresse. Il allait enfin s’en approcher quand elle se mit soudain à tressaillir et à changer d’aspect; les feuilles devinrent plus brillantes et se serrèrent contre la tige qui s’allongeait; la fleur s’inclina vers lui et les pétales formèrent en s’écartant une collerette bleue où flottait un visage délicat. Son doux émerveillement croissait à mesure que s’accomplissait l’étrange métamorphose […] » (Henri d’Ofterdingen, Novalis – traduction de Marcel Camus)

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