L’origine des mythes

27.08.2018
Gustave Moreau (1826-1898) - La chimère (1867), Fogg Art Museum de Cambridge, États-Unis

Gustave Moreau (1826-1898) - La chimère (1867), Fogg Art Museum de Cambridge, États-Unis

« Que fais-je ici ? » « A quoi rime tout ce bazar ? » « Et où allons-nous comme ça ? »« Moi mourir un jour ? pour aller où !? » Ces vastes questions sans réponse, pas plus aujourd’hui que parmi les tous premiers hommes qui se les posèrent, fondent l’origine des mythes.

Mythe semble être un mot inventé au XIXe siècle pour qualifier les récits des origines du monde et des hommes, particulièrement chez les civilisations antiques, assyriennes (Mésopotamie), hébraïques, grecques, romaines etc. La mythologie est l’étude de ces récits dont ne nous demeurent que des bribes, et qui n’ont cessé de muter en ces civilisations plurimillénaires. Et que conjecturer des premières histoires mythiques qui s’élaborèrent aux temps magdaléniens, dont nous restent quelques rares fresques pariétales ? Que pouic.
Autant dire qu’en nos temps scientifiques, aux champs disciplinaires constitués d’étude du grand passé de l’humanité, mythe est un nom savant pour bobard. Ils se racontaient des histoires les vieux, sans blague. Tandis qu’aujourd’hui, avec l’astrophysique, la théorie des cordes, on tient le bon bout, c’est du sérieux.

Si l’on considère la civilisation antique de la Grèce, dont les mythes furent consignés par écrit par Homère – enfin quelqu’un de sérieux – les grecs n’en faisaient pas moins des mathématiques, construisirent le Parthénon, prévoyaient des éclipses… « C’est que dès les temps présocratiques, on savait distinguer, comme dit Pindare, muthos et logos, fantasmes sacrés et discours rationnel. » (Lucien Jerphagnon, Au bonheur des sages) Avec la naissance de la philosophie, ce discours rationnel mit ces grands récits des causes premières à la question, tout en s’employant à conserver au mythe sa dimension allégorique, ainsi que le fit, rappelle Lucien Jerphagon, un certain Théagène de Rhégium (Ve-Ve siècle av. J.C.) pour préserver la réalité des mythes homériques. L’historien de l’antiquité et philosophe Paul Veyne a d’ailleurs ainsi intitulé un de ses ouvrages : Les Grecs croyaient-ils à leurs mythes ?  Certainement, mais non pas sans savoir qu’Apollon ne viendrait pas leur serrer la pince au sortir de son temple et partager un ouzo d’antan au bar d’en face. Nulle foi n’est sans mystère.

Probablement n’y a-t-il jamais eu aucune société humaine sans ses mythes expliquant l’inexplicable, donnant à voir l’invisible et remontant à la Cause des causes. Car ils initient un dialogue avec l’absolu au sein même de l’irrésolu. Le monde des dieux réfléchit l’humanité comme un miroir en l’incorporant dans une dimension cosmique. Les mythes donnent à la communauté son âme collective. « Le mythe donne au fini ce qui lui manque d’infini, et au temps ce qu’il lui faut d’éternité. » (Lucien Jerphagnon, ibid.) C’est que le mythe, en donnant le commencement, autorise une destination : un au-delà prolonge cet ici-bas. Cette origine fonde la foi en un futur plus engageant que le néant, lequel n’est pas drôle tous les jours. L’origine des mythes serait-elle ce néocortex de l’hominidé depuis qu’il s’est mis à parler et à nommer, avant même toute transcendance ou réflexivité ? Le germe du mythe est dans « des peurs, des rêves ou des scandales enracinés en nous. » (Jacqueline de Romilly, citée par Lucien Jerphagnon, ibid.) Sa présence autorise d’espérer. Les grandes transcendances des religions monothéistes se sont substituées aux mythes primordiaux, mais n’en procèdent pas moins de la même essence.

Mais le mythe n’est pas que récit. Il est vivant, par sa transmission, par ses changements et par les cultes qui le consacrent. «Comme  la  pensée  mythique  ne  tient  pas  à  fixer clairement son point de départ ni son point d’arrivée, elle ne parcourt jamais toute sa trajectoire : il  lui  reste  toujours  quelque  chose  à accomplir.  Comme  les  rites,  les mythes sont interminables » (Claude Levi-Strauss)

Aujourd’hui, le divorce né à la Renaissance entre science et rationalité d’une part et histoire sacrée des origines et surnaturel d’autre part, s’est institué en schisme irrévocable. Pourtant nombre de grands scientifiques conservent la foi et observent un culte religieux. Ce sont au fond deux régimes spirituels, l’un analytique, l’autre fervent. L’un de surplomb, l’autre d’humilité. Les deux sont féconds l’un pour l’autre. Et il en va de même lorsque le philosophe Adorno s’exclamait que depuis que Dieu était mort, il était partout : les mythes originels sont révoqués mais d’autres pullulent, dévoyés, sans ferveur ni rites. Des mythes à la petite semaine vont bon train, tant l’être humain semble divinement doué pour croire sans y croire, tout en y croyant en douce mais dur comme fer.

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