Voyelles voyantes

07.03.2016
Manuscrit du poème "Voyelles" d'Arthur Rimbaud

Manuscrit du poème "Voyelles" d'Arthur Rimbaud

Au fil de l’eau, les sens sont en résonance thématique. La synesthésie lie et diffracte sons, teintes, senteurs, tacts et goûts au gré de dons sensoriels. memento se penchera bientôt sur le berceau du synesthète adoubé des fées. Mais au commencement étaient les poètes.

S’agissant de l’alliance sensorielle qui caractérise la synesthésie, c’est invariablement avec le poème Correspondances de Charles Baudelaire, dans Les Fleurs du Mal (1857, puis 1861) que l’on commence et auquel on revient toujours. Dans ce sonnet sublime ce vers définitif : « Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. »

Quelques années plus tard, le 15 mai 1871 Arthur Rimbaud s’adresse à Paul Demeny par courrier. Cette lettre appartient à la postérité. Il est alors poète. La mission qu’il assigne à cette figure illuminée est sensiblement insensée : « Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant. Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Cette langue sera de l’âme pour l’âme, résumant tout, parfums, sons, couleurs, de la pensée accrochant la pensée et tirant. » Et ainsi rend-il hommage au maître : «Mais inspecter l’invisible et entendre l’inouï étant autre chose que reprendre l’esprit des choses mortes, Baudelaire est le premier voyant, roi des poètes, un vrai Dieu. »

La même année, ou la suivante, Rimbaud écrit le sonnet Voyelles. Son premier vers est : «A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles, » une association synesthésique typique, qu’il accroît d’images, de tumultes, de sensations, de dérives, de bruits et de relents.

Vraisemblablement, ni Baudelaire, ni Rimbaud n’étaient des synesthètes. Mais leur génie a suppléé cette déficience d’hallucinations clairvoyantes.