Voyages en eaux calmes

28.08.2017
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L’éloge du voyage parcourt les annales de diptyque : sentir, c’est déjà partir. Parages réels, rivages imaginaires, traversées aux confins d’horizons et croisières stationnaires, le goût du grand large n’est pas une lubie de saison. Le parfum est un mode de transport.

« Pour diptyque, le parfum est un art et l’art est un voyage. » La phrase a certes un goût de formule déclamatoire, mais n’en est pas moins ancrée dans les eaux profondes de bien des mers remémorées et bien des rêveries vagabondes des fondateurs, puis de leurs héritiers. Depuis L’Eau, la première eau de toilette parue en 1968, les eaux diptyque puisent leur senteurs dans le souvenir de régions éloignées comme de songes : l’art ici désigné est celui de retranscrire des images et des impressions en parfums, et celui d’inventer des jus qui génèrent des espaces imaginaires et la nostalgie de souvenirs à venir. Leurs dessins à l’encre de Chine concourent à faire naître ces correspondances. Voyage est un mot vaste.

Cela fut initié par les trois fondateurs dont les vies et goûts brassèrent des contrées, des étendues, des manières de faire et des odeurs du monde. Yves Coueslant avait passé son enfance en extrême Orient, bercé par les voyages en paquebot reliant la France, avant de sillonner l’Europe comme administrateur de tournées de théâtre. Desmond Knox-Leet venait d’une famille écossaise émigrée en Irlande, nourri des récits et ingrédients exotiques importées de l’Empire Britannique. Christiane Montadre avait le goût des arts graphiques traditionnels du Maghreb où elle se rendait souvent. Les trois amis eurent aussi leurs lieux d’élection, le bassin méditerranéen, l’Asie du sud-est.

L’Eau n’était encore que le voyage symbolique du marin d’eau douce rêvant d’autres climats, son inspiration olfactive remontait à la Renaissance et son aspiration collective rencontrait l’esprit d’une époque de libération des jougs traditionnels : il s’agissait déjà de couper les amarres. L’Autre serait un hommage à la Syrie d’alors et à ses hautes cités de civilisation, L’Eau-Trois évoquerait les monastères du mont Athos, Philosykos un champ de figuiers sauvages en Grèce donnant sur la mer, Volutes rappellerait l’odeur du tabac respirée par un enfant sur ces grands paquebots reliant Saigon à Marseille, Tam Dao et Do Son ce Vietnam d’antan qui était alors en Indochine française, Olène les séjours à Venise, Ôponé les épices de l’orient onirique de l’Antiquité… Et c’est chaque eau de diptyque qu’il faudrait citer.

Voyage signifie un ici qui n’est déjà plus là. Parfum signifie là l’ici lointain, évocations, échappées, mirages, divagations, inconnu, évasion, dépaysement, révélations ou ressouvenance… Cet art recherché du voyage par le parfum est celui de concordances mettant en présence distances, songes, âges et paysages en une apparition intérieure.