Rêver le temps du son

05.12.2016
La Monte Young

La Monte Young

Rêver le temps du son : La Monte Young, par Karine Le Bail

Que l’on songe aux mélodies de couleurs et de timbres [Klangfarbenmelodie] de Schönberg, aux voyages « au centre du son » auxquels conviait le compositeur italien Giacinto Scelsi ou aux Imaginary Landscapes de John Cage, les musiciens n’ont cessé au XXe siècle d’interroger les notions a priori évidentes que sont l’écoute, le timbre, le son. Plus près de nous se tient le compositeur américain La Monte Young, l’une des figures les plus fascinantes de la musique minimaliste, bien que nettement moins connu du grand public que Terry Riley, Philip Glass ou Steve Reich. À 80 ans passés, La Monte Young se tient résolument en marge des circuits commerciaux et continue de construire des œuvres musicales qui pourraient être jouées « très longtemps, voire indéfiniment ». Ce rêveur d’un son éternel a commencé par être musicien de jazz avant de rencontrer les œuvres de Stockhausen et de Cage, qui le conduisent à rejoindre à la fin des années 1950 la scène conceptuelle américaine aux côtés d’artistes comme Joan Jonas ou Andy Warhol. Il participe aux grands happenings organisés par Yoko Ono dans son loft new-yorkais et forme bientôt the Theater of Eternal Music avec des musiciens comme Angus MacLise et John Cale, qui rejoindront par la suite le Velvet Underground. Au début des années 1960, La Monte Young et sa compagne la plasticienne Marian Zazeela conçoivent des Dream Houses, incroyables installations sonores et visuelles qui ne vont pas tarder à voyager dans le monde entier. Il faut dire qu’entrer dans une Dream House est expérience sensorielle intense : dans un environnement lumineux de couleurs fondamentales (essentiellement magenta) qui se reflètent sur des sculptures mobiles, l’auditeur se laisse pénétrer par des fréquences continues diffusées par des haut-parleurs. Dans cette méditation à l’écoute de soi et de sons rendus infinis grâce à l’électronique, il peut vivre le rêve de Jean Cocteau qui écrivait, au seuil des années 1920 : « Je veux qu’on me bâtisse une musique que j’habite comme dans une maison ».

 

Karine Le Bail est historienne (CNRS / EHESS) et productrice de l’émission « À pleine voix » sur France Musique.