Voyage autour de ma chambre

09.05.2016
Xavier de Maistre (1763-1852), gravure de Cyprien Jacquemin

Xavier de Maistre (1763-1852), gravure de Cyprien Jacquemin

Le Voyage autour de ma chambre est un petit guide de voyage littéraire à l’attention de quiconque entreprend de faire route vers le rire, la joie d’être, la lucidité, la modestie, la gratitude, la compassion et la sagesse. Mais qui oserait ne pas se souhaiter telle destination ?

Il s’agit d’un livre de Xavier de Maistre composé en 1794. Militaire de profession, peintre de dilection, c’est en tant qu’auteur de ce court récit que son nom s’inscrit dans la postérité. Pour une affaire de duel, l’auteur est condamné à quarante-deux jours d’arrêts. Eu égard à son rang, d’aristocrate et de militaire, il est forcé de garder sa chambre sans en jamais sortir. Ainsi mis à l’écart de la société, il rédige une ode à la liberté de s’évader par l’esprit, de se moquer de soi en se regardant faire, de fourmiller de vies dissemblables par la lecture, de louer son sort qui est loin d’être des pis en ce monde… Et parmi mille choses de sa vie mondaine qu’il se remémore, il en ressort toujours que c’est la vie intérieure – l’âme, les sentiments – qui donne leurs couleurs radieuses aux faits d’ici-bas, malgré l’ombre portée de la tragédie sur l’existence.

Dans sa chambre se trouvent ses livres et quelques tableaux, dont un qui surpasse les plus grands maîtres, même Raphael : un miroir, qui est « pour tous ceux qui le regardent, un tableau parfait auquel il n’y a rien à redire. »  A un bout de la pièce se situe son lit aux draps roses et blancs, couleurs dont il vante les mérites à soulever la gaité. A l’autre bout, sa chaise de poste et son bureau. Il jouit encore des agréments d’avoir son fidèle domestique, ce bon Joannetti, qui fait preuve d’un soin attentif et indulgent qui en remontre aux inconséquences de l’auteur. Enfin de Maistre partage sa chambre avec sa fidèle amie, Rosine, une petite chienne qu’il aime tant et lui pardonne ses humeurs : « C’est ainsi que, dans mon voyage, je vais prenant des leçons de philosophie et d’humanité de mon domestique et de mon chien. »

Cette digression est une ballade lucide dont les petits chapitres sont des étapes spéculaires, c’est-à-dire qui réfléchissent l’auteur comme un miroir sans complaisance. Son ton l’annonce léger et frivole ? Il se révèle profond et bon. Il donne une leçon d’humanité à ses dépens, sans être sentencieux ni se donner en exemple. Il entrecoupe les éclats de rire qu’il provoque de larmes qu’il dissimule, celles de l’ami endeuillé, l’amoureux éconduit, l’amant suppléé, et l’homme sensible outré par les ravages des guerres. Il raille l’égoïsme des jouisseurs en pensant aux démunis, s’apitoie sur les inégalités mais se choie de confort. Son fait d’armes reste la distinction entre son âme et « l’autre » qui désigne la bête, son corps et ses manies, dont la cohabitation forcée culmine en un dialogue aux subtiles insinuations d’une drôlerie totale.

Ce faisant, l’ouvrage accumule les inventions d’écriture : il interrompt une action le temps de suivre ses pensées, avant d’en reprendre le fil quelques chapitres plus loin comme si celle-ci était restée en « arrêt sur image » ; ou bien perdu dans les visions de sa belle sur un tertre, il résume un chapitre au mot « tertre » isolé dans une mer de tirets.

Au terme de ses réflexion d’écrivain, le soldat est sur le point d’être rendu au monde extérieur et à son pugilat de vanités : « c’est aujourd’hui donc que je suis libre, ou plutôt que je vais rentrer dans les fers ! » s’écrit-il. De Maistre montre combien la liberté est intérieure dans un monde qui n’est qu’une arène d’instincts. Ainsi ce voyage n’a-t-il d’autre destination que celle d’une destinée de modestie sereine.