La voie de l’encens

02.11.2015
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Kôdô, signifie la voie de l’encens. C’est un art proprement japonais de création de senteurs et d’appréciation solennelle de leurs émanations. Codifiée au XVIIe siècle, cette discipline fait l’objet d’enseignements séculaires. Mais le Kôdô puise sa source dans une tradition millénaire.

Il semblerait que nul autre pays n’ait jamais élaboré avec tant d’affinement une telle coutume de l’art des fumées odorantes. A l’origine est le jinkô, une résine odorante sécrétée par les arbres Aquilaria atteints de maladie. C’est de la Corée qu’il pénètre au Japon, avec le bouddhisme, au 6ème siècle. Mélangé à d’autres essences, santal, myrrhe, épices, il se brûle en offrande.

Bientôt, essences aromatiques rares, musc, chair de prune, miel, et charbon, composent de savants nerikô (mélange à brûler) aux recettes jalousées. Aussi arrangées en boules de soie imprégnées, kusadama, l’on en parfume habillements et intérieurs. Cet agrément de cour devient un divertissement recherché de connaisseurs. Mais c’est sous l’Ere Heian, entre le 8ème et le 12ème siècle que cette pratique prend un caractère incomparable, qui infusera la codification du Kôdô quelques cinq siècles plus tard. C’est dans cette cour coupée du monde par ses raffinements précieux que se nouent des liens aussi sûrs qu’ineffables entre senteur, calligraphie, littérature, expression des sentiments, pensée, en concordance avec les saisons, en écho au temps du jour, à l’humeur… La lettre parfumée y est un art de haute adresse. Ce savoir du sentir sonde les correspondances évocatrices et spirituelles des parfums. Le livre classique majeur du Japon, Le dit du Genji, écrit par une femme de cour, Murakasi Shikibu, en est pétri. Cet art de la senteur recueille la magnificence de l’évanescent.

Lors de l’ère d’Edo, dès 1603, c’est l’essor du négoce naval et la naissance d’une bourgeoisie opulente qui veut s’approprier les rituels aristocratiques qui popularise celui de l’encens. Naît alors le Kôdô, régi et enseigné par deux écoles, de Shino-ryu, et d’Oie-ryu. Au 18ème des poètes lui consacrent d’immenses encyclopédies peintes rassemblant tout le savoir de l’encens et ses rites. Des typologies de saveur naissent, dissociées des saisons. Des jeux, kumikô, consistent à distinguer puis mémoriser différentes senteurs à partir de thèmes inspirés des saisons ou de la littérature classique. C’est le cérémonial exact d’un savoir insaisissable. Le Koh-Do est un geido, un art raffiné.

La pièce est dépouillée. Les participants n’ont pas de parfum. La disposition intérieure est au silence des pensées. Un encens s’écoute. Paradoxalement, le Japon traditionnel n’a pas cultivé les eaux parfumées et corporelles, mais bien plutôt les senteurs par combustion. Le parfum est spirituel et non sensuel. Il écrit dans l’air une fulgurance fugace. Haïkus comme fumées odorantes magnifient une éternité qui ne fait que passer.