La villa Noailles

20.04.2015
Villa Noailles. Vue de l'escalier de la piscine. Photographe : Thérèse Bonney.

Villa Noailles. Vue de l'escalier de la piscine. Photographe : Thérèse Bonney.

Tout commence peut-être par un ravissement éperdu pour le Palais Stoclet du 281 de l’avenue Tervuren, à Bruxelles, conçu par l’architecte autrichien Joseph Hoffmann pour le magnat Adolphe Stoclet, dont l’intérieur fut décoré de beauté fonctionnelle par Gustav Klimt et Fernand Khnopff. Il est achevé en 1911. L’ambition n’y fut rien moins que celle d’une œuvre d’art totale où édifice, décoration, mobilier, matières et jardin sont pensés ensemble, à parts égales, puis confiés à des maîtres des corps de métiers et des arts appliqués. L’excellence esthétique est au service de l’usage quotidien. Cet apogée d’ouvrage opère une charnière entre la Sécession viennoise, l’Art nouveau, l’ère de l’Art déco et l’architecture moderne : nombre des grands artistes du temps défilèrent au palais, dont les plus grands architectes consacrés comme en herbe. Parmi ces derniers, Robert Mallet-Stevens, neveu de l’épouse d’Adolphe Stoclet.

Et c’est donc à « Rob », surnom de Mallet-Stevens, que Charles et Marie-Laure de Noailles firent appel l’année de leur mariage, pour imaginer leur villa sur les hauteurs d’Hyères. La villa Noailles est bâtie entre 1923 et 1925, puis divers agencements la complètent jusqu’en 33. Cet édifice magistral est l’une des premières formulations réelles de l’architecture moderne en France, et demeure l’une des plus prodigieuses.

Les mouvements d’arts et d’idées vont alors grand train. Le constructivisme, l’étendard artistique de la Révolution Russe, prêche la géométrie spatiale aux formes élémentaires : rectangle, cercle et ligne nette. L’influent mouvement hollandais De Stijl de Theo Van Doesburg et Piet Mondrian défend les formes pures et abstraites, les couleurs en aplat et les surfaces unies, avec une dynamisation de l’espace par des diagonales et des décrochés de volumes. Le modernisme veut aussi des matériaux lisses, industriels, lavables : béton, métal, verre. Tout cela nourrit Mallet-Stevens, qui doit penser la villa dans son développement horizontal, en harmonie avec son environnement, plutôt que vertical comme initialement souhaité. Ainsi la villa ménage-t-elle des effets de vues cadrées comme des peintures par ses verrières et son enceinte percée de baies.

Soleil et vue, modernité et simplicité sont les recommandations maîtresses des Noailles. La réussite harmonique, en volumes, matières, agencements, décorations, jardins, doit toujours répondre à la simplicité des lignes et à l’utilité pratique: la forme nait de la fonction. Des chambres abstraitement spartiates conçues comme des cellules de retraite accueilleront les nombreux invités illustres du couple de Noailles pour y ressourcer leur inspiration. C’est une maison pour vivre, pour accueillir des amis, pour faire la fête et du sport, pour contempler et pour créer.

Le jardin cubiste en triangle et l’aménagement intérieur, le mobilier, la décoration d’œuvres d’art, furent l’œuvre d’éminents artistes et designers parmi les plus influents de leur génération.

A l’inverse hélas du palais Stoclet dont les façades de marbre de Carrare font dignement front aux affronts du temps, la villa Noailles manqua d’être emportée par son délabrement. Elle a été heureusement restaurée. Devenue un centre d’art et d’architecture où des expositions sont ouvertes au public, elle héberge notamment le Festival International de Mode et de Photographie. La villa Noailles remplit à nouveau sa fonction de lieu dévolu aux rencontres et à la création, Beaux-Arts et Arts appliqués réunis.