La vie en rose de Richard Mosse

01.02.2016
Richard Mosse - Platon, 2012 (digital c-print dimensions variable) ©Richard Mosse.  Courtesy of the artist and Jack Shainman Gallery, New York.

Richard Mosse - Platon, 2012 (digital c-print dimensions variable) ©Richard Mosse. Courtesy of the artist and Jack Shainman Gallery, New York.

La vie en rose de Richard Mosse par Elodie Morel

Ouvrir un instant une parenthèse et regarder le monde différemment, laisser la lumière et la couleur nous combler d’espoir, et modestement rendre visible ce qui ne l’est pas. Le paysage qui se déploie sous notre regard est parsemé de rose, de pourpre et de magenta à perte de vue ; un panorama tout entier que l’on croirait tiré d’un conte de fée. Nous nous immisçons dans un autre monde en suivant le long déroulé de cette rivière sinueuse pourtant restée argentée. Un arbre étrange et fier, lui aussi entièrement coiffé d’un feuillage carmin se dresse au premier plan et nous fait face, ces petits points noirs et blancs déployés au lointain sont les seules traces de vie qui peuplent cette vaste étendue, cette nature empourprée dont on voudrait pouvoir savourer la beauté sans arrières pensées.

Cette immersion sensorielle est l’œuvre de Richard Mosse, photographe irlandais né en 1980 dans une famille de Quaker, qui étudie à Londres où il est diplômé de la Goldsmiths University en Beaux-Arts et de la Yale School of Art en photographie. Il vit aujourd’hui à New York. Richard Mosse s’intéresse à de nombreux conflits dans le monde, avant que son regard ne se pose en République Démocratique du Congo et notamment dans la région du Sud-Kivu, en proie aux violences entre rebelles, qu’il a pu infiltrer et côtoyer pendant deux ans. L’artiste réinvente la photographie de guerre à l’aide d’un film 16mm à infrarouge (Kodak Aerochrome) utilisé par l’armée américaine vers 1940 et dont la particularité est de pouvoir détecter les tenues en toile de camouflage. C’est la chlorophylle contenue dans les plantes vivantes qui permet de réfléchir la lumière au-dessus de 500 nanomètres et de transformer le vert en pourpre. La photographie infrarouge devint populaire dans les années soixante lorsque des artistes, comme Jimi Hendrix, l’utilisèrent pour la couverture de leurs albums. Ces images aux couleurs acidulées reflétaient une esthétique particulièrement adaptée à la vague psychédélique de cette époque. Richard Mosse l’emploie à son tour non pas seulement pour l’esthétique évidente qu’elle renvoie mais bien pour puiser dans notre sensorialité une réaction en nous mettant au défi de regarder le monde plus intensément.

The Enclave est une œuvre présentée pour la première fois au Pavillon irlandais lors de la 55ème Biennale de Venise en 2013 et pour laquelle Richard Mosse reçoit le prix Deutsche Börse en 2014. L’œuvre est composée d’une installation de six écrans et six canaux audio disposés dans une salle que le public ne peut atteindre qu’en traversant un couloir sombre comme pour servir de métaphore et introduire le spectateur dans un conflit qu’il ignore. Le visiteur est contraint de se mouvoir pour regarder les écrans sur lesquels apparaissent de manière aléatoire ces images d’une beauté surréelle qui nous plongent dans une situation de profonde souffrance.

Le travail de Richard Mosse est un véritable défi aux traditions du photojournalisme et au système qui impose de croire ce que l’on voit. Le plaisir et la séduction deviennent les armes que l’artiste utilise pour bousculer notre conscience. Il nous offre la beauté en image pour nous parler de douleur et de danger.

La nature est le sujet de toutes les représentations et interprétations, les tentatives pour la capturer, la révéler ou la transformer sont innombrables comme lorsque des artistes du Land Art, tels Richard Long ou Robert Smithson, tentaient par leurs expériences de la contraindre en agissant sur l’environnement. Le dialogue entreprit par Richard Mosse est tout autre, il trace une voie entre les paysages du Congo et les pays dans lesquels nous nous situons, un pont entre lui et nous où la beauté se déploie pour nous permettre de faire l’expérience du mystère de la vie. La beauté qui nous happe, qui nous arrête dans la hâte de notre vie, la nature qui nous nourrit et nous remplit d’une force insoupçonnée pour faire face au réalisme, à l’ironie et au malaise. La vie en rose de Richard Mosse nous offre une liberté, celle de pouvoir regarder, penser mais surtout celle de pouvoir réagir face à un monde dont la réalité est parfois loin d’être uniformément rose.

 

Elodie Morel est Directrice du département Photographies chez Christie’s Paris.