« Turn me on »

10.03.2016
Jean Tinguely, Swiss made, éléments métalliques mobiles et mécanisme d’horlogerie, 1961. Ancienne collection Dagny et Jan Christie’s. Courtesy Christie’s Inc. © Christies images, 2016.

Jean Tinguely, Swiss made, éléments métalliques mobiles et mécanisme d’horlogerie, 1961. Ancienne collection Dagny et Jan Christie’s. Courtesy Christie’s Inc. © Christies images, 2016.

Paul Nyzam, spécialiste en art contemporain chez Christie’s, brosse une introduction à l’art cinétique, ses problématiques artistiques en jeu, et d’un de ses avatars, l’op art.

 

« Turn me on »

Remonter aux sources de l’art cinétique nous conduit du côté de deux figures tutélaires : Marcel Duchamp d’une part, dont le Nu descendant l’escalier (1912) préfigure les recherches sur la représentation du mouvement dans l’œuvre d’art ; Alexander Calder d’autre part qui, admirant les peintures dans l’atelier de Piet Mondrian, s’exclame « comme ce serait bien si tout cela bougeait ! » et crée dans la foulée ses premiers mobiles, introduisant pour la première fois le mouvement au cœur-même de la sculpture.

Mais c’est au milieu des années 1950 qu’apparaît une génération d’artistes posant les principes de cet art d’un genre nouveau : un art qui serait parfaitement abstrait sans être métaphysique, un art qui privilégierait l’objectivé de la technique à la subjectivité de l’artiste, la vibration à la narration, la structure à la composition, l’instable à la fixité. Car tout désormais est mouvement : l’œuvre d’art elle-même comme la rétine du spectateur. Les jeux d’optique engendrés par certains agencements de formes et de couleurs, ou par les propriétés de certains matériaux jusqu’alors inédits dans l’histoire de l’art – plexiglass aux effets de transparence, moteur électrique – concourent à faire de l’ œuvre d’art une réalité insaisissable, en constante évolution.

Paris est le point de ralliement de cette faune cosmopolite : le Vénézuélien Jesús Rafael Soto y côtoie le Belge Pol Bury, le Suisse Jean Tinguely y croise l’Israélien Yaakov Agam. Ces quatre-là sont réunis, avec quelques autres – dont les vétérans Duchamp et Calder -, dans une exposition organisée en 1955 par la galerie Denise René, sur l’idée de Victor Vasarely. Reçue de façon mitigée par la critique, Le mouvement n’en marquera pas moins l’acte de naissance officiel de l’art cinétique. Six ans plus tard, un autre groupe s’empare de ces problématiques en leur donnant une dimension militante : le GRAV (Groupe de recherche d’art visuel) veut faire descendre l’art dans la rue et, développant un vocabulaire plastique restreint autour de formes simples, entend casser la relation traditionnelle qu’entretiennent l’art et la société. 

L’art cinétique connaît finalement son apogée en 1965, lorsque le MoMA lui consacre une exposition qui fera date : « The responsive eye ». C’est d’ailleurs à l’annonce de cette exposition, un an plus tôt dans la presse, qu’un journaliste américain emploiera pour la première fois une expression restée à la postérité : Op Art. Longtemps boudé des institutions et des collectionneurs, l’art cinétique rencontre aujourd’hui un succès renouvelé, en partie parce qu’une jeune génération d’artistes reprend à son compte les problématiques dont le groupe est à l’origine. Une formidable rétrospective lui a été consacrée en 2013 au Grand Palais.