Toiles de Jouy

08.01.2018
Toile de Jouy (détail de motifs) (© Musée de la toile de Jouy)

Toile de Jouy (détail de motifs) (© Musée de la toile de Jouy)

Toiles de Jouy, par Aziza Gril-Mariotte

Toiles de Jouy, voilà un terme qui ne laisse personne indifférent. Pour certains, il évoque une vieille demeure à la campagne et des souvenirs heureux ; pour d’autres, les vieilleries d’une grand-mère et une odeur de renfermé. Ces étoffes, imprimées en bleu ou rouge, sont devenues l’incarnation du bon goût, évoquant la nostalgie de l’Ancien Régime, autant de raisons d’adorer ces motifs que de les exécrer. On opposerait la toile à carreaux de Cholet, populaire et démocratique aux toiles de Jouy aristocratiques… Et bien on se trompe ! Au-delà de la légende, la réalité historique montre que ces toiles ont été consommées par le peuple des villes qui rêvait d’une campagne rousseauiste.

La mode des cotonnades remonte au XVIIe siècle, lorsque les indiennes débarquent des bateaux de la Compagnie des Indes Orientales, mais leur engouement provoque l’hostilité des manufactures textiles françaises. En 1686 l’État, obsédé par la sortie des numéraires du royaume, interdit toutes les cotonnades. Pendant plus de 70 ans, le pouvoir royal ne cesse de promulguer des arrêts pour renforcer la répression – amendes, emprisonnement, galères et même peine de mort pour les contrebandiers – mais la prohibition est un échec et sa suppression en 1759 apparaît comme une victoire du peuple.

L’histoire des toiles de Jouy démarre en Angleterre lorsque des fabricants adaptent la technique de l’estampe à l’impression sur toile de coton. Le mordant remplace l’encre pour fixer la teinture – garance pour le rouge ou indigo pour le bleu – révélant la finesse des dessins gravés sur cuivre. À partir des années 1770 les manufactures françaises impriment de grandes compositions de paysages aux multiples saynètes peuplées de personnages et d’animaux. Ces étoffes, nommées « meubles à personnages » ou « camaïeux à personnages », remportent un grand succès auprès d’une clientèle bourgeoise.

La manufacture de Jouy, fondée par Christophe-Philippe Oberkampf, a donné son nom à ces étoffes en les concevant comme de véritables tableaux. Le fabricant s’est attaché les services du peintre Jean-Baptiste Huet pour séduire une clientèle qui se passionne pour la scène de genre et la peinture flamande du XVIIe siècle. Après la Révolution française, il multiplie des motifs de pastorales. Elles seront redécouvertes à la fin du XIXe siècle par les nostalgiques de l’Ancien Régime qui verront dans ces jolies fermières l’incarnation de Marie-Antoinette à Rambouillet.

Aziza Gril-Mariotte est maître de conférences en histoire de l’art à l’Université de Haute-Alsace. Spécialiste des indiennes et de la création artistique dans l’industrie textile aux XVIIIe et XIXe siècle.