Karlheinz Stockhausen

18.12.2014
Karlheinz Stockhausen & Rikrit Tiravanija - Oktophonie

Karlheinz Stockhausen & Rikrit Tiravanija - Oktophonie

L’interprétation récente d’une œuvre de Karlheinz Stockhausen, « Kontakte » à l’Opéra National de Paris, est l’occasion de parler de la passion des fondateurs pour ce compositeur allemand, parmi les primordiaux de la musique contemporaine.

Son œuvre est immense et protéiforme. Il invente d’une part de nouvelles voies pour la musique dite classique alors poussée dans les extrémités théoriques du dodécaphonisme atonal et sériel. Il innove d’autre part une musique électronique expérimentale qui ouvre des champs à la musique pop alternative d’alors. De nombreux groupes se réclameront de son influence, à commencer par ses concitoyens de Can. Il soutiendra les expérimentations pop du krautrock allemand et du psychédélisme nord-américain. Ses compositions sont envisageables comme un laboratoire d’idées qu’il n’a jamais cessé de remettre en chantier. Pour autant Stockhausen assigna toujours à la musique les visées spirituelles de la musique sacrée de la grande ère classique. Mais son œuvre, plutôt que proprement cultuelle, développe une portée plus transcendantale, cosmique et métaphysique : « l’aspect essentiel de ma musique est toujours religieux et spirituel ; l’aspect technique est un simple commentaire. […] La musicalité la plus pure est aussi le mysticisme le plus pur dans un sens moderne. »

L’artiste génial n’en était pas moins un illuminé sachant se jouer du système médiatique. Il assurait venir de la planète Sirius où il était appelé à retourner après sa mort. Qui en douterait ? Aucune preuve du contraire n’a encore jamais pu être avancée.

Quand nous parlons de la passion des fondateurs pour Stockhausen, il est probable que Christiane fût légèrement moins emballée qu’Yves et Desmond. Mais tous ne manquaient aucun concert du maître. Et pour cause ! Chaque représentation musicale changeait les règles du jeu.

Stockhausen s’intéresse avec minutie à l’exploitation visuelle de sa musique. Ses concerts deviennent des spectacles. Selon l’œuvre jouée, des rituels sont observés avec l’orchestre, une scénographie fascinante est proposée, des solistes cernent le public à revers ou c’est un danseur qui fait irruption sur le podium du chef d’orchestre. Il s’impose un renouvellement permanent.

Mais c’est dans sa musique même qu’il modélise la modification permanente. Il cherche à tisser le hasard avec le programmé. C’est l’ère de la musique aléatoire portée par son contemporain John Cage. Il développe des méthodes de musique intuitive par lesquelles le compositeur donne des clefs d’improvisations. Il intègre les musiciens dans le processus créatif comme la physique quantique intègre l’observateur dans son dispositif expérimental. Il ira jusqu’à proposer des partitions à l’état zéro où seules des indications textuelles dirigent les musiciens. Brian Eno mettra en œuvre certaines méthodes initiées par Stockhausen lors de l’enregistrement de l’album Low, de David Bowie, par ce qu’il appellera des « stratégies obliques ». Déroutés, les musiciens reconnurent plus tard les mérites de ces expérimentations qui prenaient en défaut leurs automatismes d’instrumentistes.

Dès l’après-guerre, Stockhausen, un temps élève d’Olivier Messiaen, travaille avec des bandes sons et organise un jeu de montage sonore et musical, utilisant des filtres, des potentiomètres, des modulateurs, des installations de microphones, des synthétiseurs, des tables de mixage… En intégrant les bruits quotidiens dans son écriture il révolutionne la syntaxe musicale. Il associe les formations traditionnelles, le quatuor ou l’orchestre, aux expérimentations électroniques. Nulle surprise qu’on entende sa musique dans bien des films de Jean-Luc Godard, qui opère sur l’art du montage – de l’image autant que du son – une subversion et des bouleversements aussi importants pour le cinéma que Stockhausen pour la musique moderne.

Et comme bien souvent, les pionniers demeurent plus hardis que leurs héritiers qui prospèrent sagement sur les risques pris par leurs ainés. Pour la musique électronique qui dessine la bande son de notre époque, les leçons démentes du compositeur germanique restent absolument actuelles.