Les stars

08.12.2017
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Les stars, par Julia Kerninon

La célébrité a toujours existé, de mémoire d’homme, mais le concept de stars est en revanche une invention plus récente. Alexandre le Grand et Jules César étaient connus pour leurs exploits – les stars d’aujourd’hui sont, selon la formule de l’historien Daniel J. Boorstin, « célèbres pour leur notoriété ».

Si la célébrité était au départ le privilège des puissants – empereurs, rois, pharaons – sa magie s’est progressivement étendue aux artistes : il était désormais possible d’être connu non pour ce que l’on était de naissance, mais pour ce que l’on avait accompli ! Ludwig van Beethoven l’apprit ironiquement à un riche mécène : « Prince, ce que vous êtes, vous l’êtes par le hasard de la naissance. Ce que je suis, je le suis par moi. Des princes, il y en a et il y en aura encore des milliers. Il n’y a qu’un Beethoven ».

Au XXe siècle, grâce au développement de la presse mais aussi à l’invention de la photographie, les célébrités prennent une ampleur nouvelle, et l’assouvissement de la curiosité du public ne connaît plus d’obstacle. Car comme l’a brillamment démontré Nathalie Heinich, c’est la visibilité qui constitue le levier le plus déterminant de la reconnaissance publique à large échelle : la caractéristique première de la vedette, comme le rappelle son étymologie, est d’être vue.

Il existe d’ailleurs une théorie amusante selon laquelle le phénomène des stars aux Etats-Unis serait une conséquence directe de l’exode rural. En effet, pendant des générations, les individus avaient vécu au sein de petites communautés dont ils connaissaient chaque visage ; lorsque la crise économique les contraint à s’installer dans les grandes villes, ils se découvrent, entre autres bouleversements, entourés de visages inconnus. De ce choc va alors naître le désir (ou le besoin) d’extraire de cette immense masse une poignée de visages identifiables, reconnaissables : les stars.

Marilyn, son grain de beauté et sa blondeur platine, Veronica Lake et sa mèche sur les yeux, Rita Hayworth et sa rousseur flamboyante… Hollywood produit non seulement des films, mais des modes et des styles. Car si les héros d’autrefois se définissaient par leur inégalable exceptionnalité, les stars actuelles, au contraire, apparaissent comme des modèles à imiter. Leur vie privée est inlassablement scrutée par le public comme un miroir dans lequel contempler sa propre existence, leur apparence est copiée à l’infini, leurs faits et gestes sont épiés, commentés, disséqués. Et les stars le savent mieux que personne : la chanteuse Beyoncé n’hésite pas à partager ses photos de famille sur un écran géant durant ses concerts, l’intégralité de la famille Kardashian s’expose dans une émission de téléréalité, et le Président Obama lui-même déclare publiquement sa flamme à son épouse… La célébrité moderne se nourrit d’elle-même, et si elle est régulièrement épinglée pour sa vulgarité et son voyeurisme, reste qu’elle nous parle à la fois de notre curiosité pour l’être humain et de notre besoin d’idoles protectrices dans un monde de plus en plus chaotique. Nous serons tous célèbres pendant quinze minutes, nous promettait Andy Warhol à qui l’on doit le terme de « superstar » – mais serons-nous un jour en paix ?

Julia Kerninon est Docteur en études anglophones et écrivain.