Sons et couleurs

14.04.2016
La symphonie printanière, 1936 (Henry Valensi, 1883-1960)

La symphonie printanière, 1936 (Henry Valensi, 1883-1960)

« Sons et couleurs, vers une approche synesthésique des arts » par Jean-Yves Bosseur

Déjà au 16ème siècle, Arcimboldo avait imaginé un système d’équivalences entre valeurs graduées du noir au blanc et hauteurs de sons. En 1740, le mathématicien jésuite Louis-Bertrand Castel avance, dans son traité sur l’optique des couleurs, un tableau des concordances entre l’échelle tempérée et le spectre chromatique, fondant son raisonnement sur deux triades : celle des couleurs primaires et celle des notes de l’accord parfait. Castel souligne l’importance commune de la figure circulaire pour les arts visuels et sonores, le cercle se retrouvant aussi bien dans le jeu des tonalités que dans celui des couleurs; il insiste par ailleurs sur l’importance des chiffres 3, 7 et 12 dans les théories concernant l’un et l’autre domaine et va jusqu’à esquisser, en 1734, les projets d’un « clavecin oculaire » et d’une « tapisserie musicale » auquel s’intéresseront notamment Rameau, Telemann et Jean-Jacques Rousseau.

Mais c’est surtout à partir de la fin du 19ème siècle que se multiplient les tentatives de confronter les phénomènes du son et de la couleur, dans la création et la perception. Scriabine peut être considéré à cet égard comme une des figures majeurs de cette aspiration à la synesthésie, qui incluait notamment des sensations olfactives; tout au long de notre siècle, plusieurs artistes et théoriciens du visuel et du sonore ont poursuivi de telles investigations (Kandinsky, Schoenberg, Hauer, Itten, Herbin, Messiaen…). Dans l’esprit du projet de Scriabine, l’architecte américain Claude Bragdon expérimenta différents claviers mécaniques permettant de réaliser des spectacles simultanément visuels et musicaux, comme Cathedral without Walls, présenté, en 1916 à Central Park. À Long Island fut créé un studio où travaillaient les « Prométhéens », artistes qui se consacraient précisément à l’élaboration d’instruments associant couleur et mouvement. Bragdon exerça une influence déterminante sur Thomas Wilfred, qui désignait sous le terme de « lumia » ses projections colorées cinétiques, et inventa en 1921, en collaboration avec lui, le premier « clavilux ». La démarche de Scriabine provoqua une véritable lignée de tentatives poly-sensorielles. A Kazan, Bulat Galeyev, auteur de plusieurs ouvrages et articles sur la synthèse de la couleur et de la musique, créa le groupe « Prométhée » qui réalisa deux films, Prométhée (1965) et Mouvement perpétuel (1969), ainsi que plusieurs installations de « musique colorée », dont Aurore boréale, pour le planétarium de Kazan.

Les démarches visant une conjugaison sensorielle aussi organique que possible entre le son, la couleur et le mouvement seront développées à partir des années 20 par les artistes du mouvement musicalistes initié par Henry Valensi. Un de ses membres, Charles Blanc-Gatti a eu de fertiles échanges avec Olivier Messiaen, qui demeure une des personnalités les plus représentatives du sentiment synesthésique dans la musique du 20ème siècle.

 

Jean-Yves Bosseur est compositeur et musicologue.