Simon Hantaï

30.07.2015
Simon Hantaï (1922-2008), Sans titre, aquarelle sur toile libre, 1971. © Christie’s images, 2015.

Simon Hantaï (1922-2008), Sans titre, aquarelle sur toile libre, 1971. © Christie’s images, 2015.

Éclairage sur le pli, méthode de travail au cœur de l’œuvre de Simon Hantaï par Paul Nyzam, spécialiste en art contemporain chez Christie’s.

Au tournant des années 1960, le peintre d’origine hongroise Simon Hantaï va produire l’un des actes artistiques les plus innovants de la seconde moitié du XXe siècle en adoptant une méthode de travail totalement inédite : celle du pliage. Il laisse derrière lui les peintures surréalistes et gestuelles qui caractérisaient son travail de la décennie précédente et s’empare d’une toile libre – c’est-à-dire non montée sur un châssis – dont il va désormais se servir comme un matériau, et non plus seulement comme un écran sur lequel appliquer la peinture. Il jette cette toile au sol, la plie de façon aléatoire et y dépose çà et là sa peinture à l’huile, ne découvrant le résultat final qu’une fois la toile dépliée. Ce premier jet de ce qui deviendra dès lors la méthode de travail exclusive de l’artiste donnera naissance à vingt-sept premières œuvres décisives auxquelles Hantaï donnera le nom de Mariales.

Après elles, plus rien ne sera comme avant ; ni pour l’artiste lui-même, ni tout à fait non plus pour ceux qui lui succéderont. Car avec le pliage, Hantaï opère une rupture radicale vis-à-vis de ce que peindre veut dire. En effet, en pliant, en nouant, en tordant puis en dépliant, les seules décisions prises sciemment par l’artiste se cantonnent au choix des matériaux : dimensions de la toile et couleurs utilisées. Plus guère de place pour la subjectivité de celui qui se contente à présent d’accepter ou de rejeter le résultat du hasard des plis et des replis. Aucun dessein préconçu, pas de plan, pas de but. Seul le plaisir de la couleur et des formes. Pas davantage de premier plan, d’arrière-plan, de perspective, de composition, de centre ou de marges : la toile tout entière est couverte uniformément de peinture.

Il faut mesurer la radicalité de cet acte en rappelant qu’il prend place à une époque marquée par l’apogée du Pop Art aux Etats-Unis et de son pendant européen, le Nouveau Réalisme – deux mouvements dont les préoccupations sont aux antipodes de celles de Simon Hantaï. En s’effaçant derrière son œuvre, l’artiste fait vœu de renoncement vis-à-vis de toute forme de contrôle en même temps que d’esthétisme, et s’abandonne à un geste pauvre qui renoue avec les origines mêmes de la peinture : chez Hantaï, « peindre, c’est étaler la couleur, uniment. » (François Mathey, préface du catalogue de l’exposition Hantaï, New York, Pierre Matisse Gallery, août 1970). Il n’est de ce fait pas étonnant que nombreux soient aujourd’hui les jeunes artistes qui, de part et d’autre de l’Atlantique, se réfèrent à Hantaï comme à l’une de ces figures tutélaires ayant contribué à faire progresser la peinture vers de nouveaux horizons de possibilités.