Shanghaï

09.11.2015
Shanghaï dans les années 30'

Mégapole majeure de la planète, ville la plus peuplée de Chine, Shanghaï conserve une aura culturelle aussi éblouissante que ténébreuse. Dans les années 1920 et 30, ce fut un foyer où la culture occidentale, détournée par les codes chinois, fut un ferment de turbulences qui subjugua le monde.

Shanghaï fut le premier foyer international moderne de Chine, sa capitale culturelle et le centre financier de l’Asie. C’était une nébuleuse urbaine tourmentée. Suite aux guerres d’opium du siècle précédent, s’étaient implantés les Britanniques, les Américains, les Français… auxquels s’ajoutèrent bientôt les Japonais. Le pays agonise alors de ses luttes intestines. Tête de pont du monde extérieur, Shanghaï est aussi un centre de pouvoirs où les triades, les sociétés secrètes, les seigneurs de la guerre, les communistes, les nationalistes et d’autres factions occultes se livrent une lutte à mort, s’associent, se trahissent, commercent ensemble, jouant et se jouant des appuis des concessions étrangères.

Prostitution, racket, jeux, opium, la cité est certes le maelstrom de turpitudes qui fait alors fantasmer la bourgeoisie occidentale en mal de vices. Mais c’est aussi le germe d’une culture chinoise contemporaine qui s’approprie les nouvelles formes d’art occidentales, cinéma et jazz, en y brassant ses racines, surtout opéra et théâtre, pour élaborer une culture contestataire. Tellement contestataire qu’elle sera jugée nihiliste. L’âge d’or prend fin en 1937 d’abord, puis avec la victoire de Mao Zedong en 1949. Shanghaï traversera une longue quarantaine jusqu’à sa réhabilitation par Deng Xio Ping. Son élite et ses artistes se réfugient alors à Hong Kong – tout comme similairement et concomitamment l’élite intellectuelle et artistique juive européenne rejoint Hollywood. L’art hongkongais, dont son cinéma, en sera richement ensemencé.

Le magnifique film The Wild Wild Rose de Wang Tian-Lin (Wong Tin-lam) condense cet héritage d’hybridation des cultures européennes avec la culture traditionnelle. S’il est tourné à Honk Hong en 1960 et se déroule dans son Wan Chai district, il n’en célèbre pas moins la culture de cabaret d’avant-guerre de Shanghaï : c’est le film de sa communauté exilée. Mais surtout, il transpose en Mandarin le Carmen de George Bizet, non sans quelques œillades au Madame Butterfly de Puccini. Ce Carmen chinois interlope mené par la sublime Grace Chang paraît s’accaparer les codes d’une culture capitaliste de libération des mœurs avec ses désillusions. Mais ce serait un jugement selon des paramètres européo-centrés. Car au rebours, il est l’affirmation d’une révolution sociale chinoise qui puise dans ses antiques enseignements où l’éducation éveille les consciences et permet la considération des souffrances sociales.

Littérature et arts sont plus révolutionnaires que les armes et leur cortège d’horreurs dit ce grand film en filigrane. A l’opposé d’une parodie, The Wild Wild Rose est un film profondément chinois faisant feu d’un bois européen et qui éclaire cet ensorcelant charivari d’arts, de délices et de luxure qu’était la Shanghai d’alors.

 

Ce mois-ci, diptyque ouvre sa première boutique en Chine : 3F, Plaza 66, No 1266, Nanjing Road (W), Shanghaï.