San Francisco

07.04.2016
diptyque maiden lane (2)

L’aura de San Francisco scintille dans l’inconscient collectif mondial : ville des possibles, lieu d’où se rêvent d’autres mondes, cité d’émancipation du réel mettant d’autres voies à l’essai: mœurs, lettres, arts, droits civiques, universités, firmes du virtuel, écologie…

Dès l’origine, le rêve : c’est le mirage de flots d’or qui déversa au mitant du XIXe siècle des foules de prospecteurs enragés, marquant l’essor d’une bourgade à peine peuplée depuis 1836. Jusqu’alors, c’était un fort protégeant une mission religieuse. Définitivement américaine en 1848, la ville s’honore du patronage de Saint François d’Assise, en remplacement du nom de Yerba Buena, « la bonne herbe », pour la qualité de la menthe qui y poussait – n’en déplaise aux hippies dont San Francisco sera la maison mère au siècle suivant.

L’histoire de San Francisco associe la ville à la liberté et la tolérance, avec ses pendants libertaires et licencieux. C’est un chaudron culturel d’anti-académisme. Le monde d’aujourd’hui est essaimé des novations et désordres dont les graines ont poussé en et autour de son enceinte. L’Afro-American-Association nait à Berkeley, la légendaire université de la baie de San Francisco. Bientôt, le « Free Breakfast for Children Program » des Black Panthers est lancé depuis la ville. Le mouvement artistique et littéraire de la Beat-Generation y trouve son berceau éditorial grâce à la Maison City Lights. La ville et ses alentours sont le bercail des contrecultures hippie, psychédélique, flower-power, beatnik, se fertilisant ensemble. La cause des droits homosexuels y trouve son arène et ses héros, ainsi qu’une culture identitaire. En 1989, le City of Refuge ordinance de la ville, faisant front aux autorités fédérales, en fait encore aujourd’hui le port d’accueil des clandestins.

Cette culture expérimentale de voies alternatives recouvre aussi la politique, l’économie et la recherche scientifique : San Francisco est depuis plus de trente ans la ville la plus novatrice du monde en gestion écologique, développement durable et accompagnement ou limitation du changement climatique. La Silicon Valley reste le pôle planétaire de hautes technologies en biotechnologie, biomédecine et informatique : Apple, Tesla Motors, Hewlett-Packard, Google, Intel, Facebook et Wikimedia Foundation y ont leur siège. Le monde dit du virtuel est aussi un champ de fréquences émis depuis ce coin du monde.

Sans oublier que… San Francisco abrita le règne de Joshua Abraham Norton, Empereur des Etats-Unis, ainsi que protecteur du Mexique dans sa magnanimité. Certes, l’individu était illuminé et sans le sous. Mais toute la ville, et jusqu’à la police, joua le jeu ! Il avait table ouverte aux restaurants, sa loge à l’opéra, et bricolait une monnaie à son effigie qu’on ne lui refusait pas. Lisons l’un de ses édits : « Quiconque après cet avertissement dû et approprié serait entendu prononçant le mot abominable de « Frisco », lequel n’a aucune garantie ni [fondement] linguistique, devra être considéré coupable de Haut-Délit, et devra payer au Trésor Impérial comme pénalité la somme de vingt-cinq dollars. » Ses funérailles furent grandioses, financées par les institutions, les notables et ses fidèles sujets. Mark Twain et R. Louis Stevenson l’estimaient. Près de 30 000 personnes lui rendirent hommage, trois kilomètres de cortège funéraire… Le lendemain, 11 janvier 1880, une éclipse solaire totale enténébrait San Francisco. Quelle autre ville, animée d’un tel esprit du sens des mondes possibles, sinon parallèles, aurait pu rendre réelle une telle farce à l’échelle de toute sa surface, pour un insolite inspiré qu’on eût mis au cachot partout ailleurs ?

Paul Lorin Kantner, le fondateur du groupe mythique de San Francisco, the Jefferson Airplane, décédé le 28 janvier dernier, l’avait bien dit : « San Francisco, c’est 49 miles carrés entourés par la réalité ».

 

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