Sages singeries

25.02.2016
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Les trois singes sages, se couvrant des mains qui les yeux, qui la bouche et qui les oreilles, viennent du fond des âges. Ils sont si universels qu’ils ont leurs effigies en emoji, sorte de consécration terrestre. Mais le sens céleste de leur silence des sens nous parle-t-il encore ?

La sagesse symbolisée par ces singes est très antérieure à sa représentation imagée. Elle naît en Chine, et c’est au Japon qu’elle a trouvé son allégorie qui traversera les siècles. La première expression de cette prescription serait du sage chinois Confucius (551-479 av. JC) ou d’un disciple : « En présence d’incivilités (ou impolitesse, ou manquement au rituel), ne pas regarder, ne pas écouter, ne pas parler, ne pas bouger » (Les entretiens, livre XII). Ce précepte oriental antique aurait trouvé sa personnification animale au Japon grâce à l’identité phonétique de saru (猿) qui signifie singe mais se prononce zaru à l’oral, et qui indique alors une forme négative: ainsi les trois singes se nomment-ils Mizaru, Kikazaru et Iwazaru (Miza, Kika et Iwa étant des abréviations de voir, entendre et dire) et sont associés aux interdits qu’ils manifestent : ne pas voir, ne pas entendre et ne pas parler.

Il est très probable que les anciens sages de Chine et du Japon aient voulu signifier que porter de l’attention aux choses impropres c’est déjà se corrompre : souiller son regard, son écoute ou sa parole avec des ordures nous salira quand bien même cela serait dans l’intention de s’en prémunir. Le mal procède par contagion, mimétisme, il tache. Ainsi faut-il tâcher de n’imprégner nos sens seulement de ce qui est juste.

Une transposition occidentale de cette idée pourrait alors être cette pensée du philosophe Friedrich Nietzsche (1844-1900), extraite de son ouvrage La gaya scienza (Le gai savoir) : « […] Je ne veux pas entrer en guerre contre la laideur. Je ne veux pas accuser, je ne veux même pas accuser les accusateurs. Détourner mon regard, que ce soit là ma seule négation ! Et, somme toute, pour voir grand : je veux, quelle que soit la circonstance, n’être une fois qu’affirmateur ! »