Dans le sac des femmes

22.02.2016
© Nick Veasey

© Nick Veasey

Dans le sac des femmes par Jean-Claude Kaufmann

Le sac n’est pas un objet comme les autres

Le sac n’est pas un objet ordinaire. Accessoire de mode, il n’a pourtant rien d’accessoire. Une plongée dans ses profondeurs révèle un univers immense et fascinant où le cœur de l’intime et les vérités secrètes croisent l’image de soi qu’on rêve d’afficher. On y met tout et n’importe quoi, le futile comme l’essentiel, d’un geste aussi naturel que sont agaçants les efforts accomplis en vain pour trouver les clés (qui ont pourtant un gros porte-clés !) ou le téléphone qui s’y cachent.

Révélateur privilégié de l’identité, il recèle des trésors insoupçonnés où se nichent mille pépites de sentiments et d’émotions. Le sac est un petit monde d’amour où les objets les plus dérisoires racontent de très belles histoires sur soi.

Des cailloux dans un sac ?

Les cailloux sont peut-être ce qui permet le mieux de saisir l’âme du sac des femmes. Des cailloux dans un sac ? Oui, dans mon enquête, j’ai trouvé ce que leur propriétaire n’aurait pas appelé des cailloux certes ; des galets, des coquillages, toute une kyrielle de petits objets étranges en ce lieu, des peluches-doudous, des porte-clés attachés à d’autre portes-clé plus volumineux que les clés qu’ils portent. Mais pourquoi, direz-vous, transporter ces choses qui doivent quand même finir par peser ? Quelle est donc l’utilité de ceci ? Vous n’aurez rien compris au sac des femmes si vous ne pensez qu’utilité ! Car il y a aussi un univers d’émotions et de souvenirs, tout un monde affectif et relationnel. Et on ne calcule pas l’affection. Peser l’amour n’a aucun sens.

Les cailloux sont comme les photos papier ou les vieilles lettres que l’on accumule : ils sont récoltés un jour, au coin d’un ravissement qui fait chaud au cœur.  Mis dedans, pour faire pièce au temps et marquer ce bonheur. Leur poids n’a aucune importance au regard de ce qu’ils véhiculent. Seul compte l’amour des siens, la vibration d’un souvenir, la beauté d’un moment.

 Le dedans du sac est un petit monde à soi, rien qu’à soi, sans fards, hors de la vue et du jugement des autres, loin des apparences et des convenances obligées.

Des petits secrets assez simples, mais qui portent tout un univers, très personnel.

Même si les différences entre un homme et une femme sont minuscules, elles ont engendré deux univers symboliques, deux manières d’être au monde, deux galeries d’images opposées. Qui se sont tellement inscrits dans une mémoire profonde qu’il est bien difficile de s’en déprendre. Le sac attaché aux femmes en fait partie. Avec ceci de notable qu’il ne date que de quelques siècles et que cet attribut de la féminité ne cesse de se renforcer dans les derniers temps.

Cet objet-là n’a vraiment rien d’ordinaire, il n’a que les apparences de l’ordinaire…

 

Jean-Claude Kaufmann, sociologue et directeur de recherche au CNRS est l’auteur du livre Le sac. Un petit monde d’amour aux éditions Jean-Claude Lattès.