Ryōan-ji

14.04.2017
Le jardin du temple de Ryōan-ji, à Kyoto

Le jardin du temple de Ryōan-ji, à Kyoto

Dans le temple de Ryōan-ji, à Kyoto, un rectangle respire silencieusement dans l’infini. Il faudrait savoir écrire à voix basse pour évoquer ce jardin de Ryōan-ji, le regarder d’yeux muets, taisant tout tumulte intime, en respirant d’un souffle de pierre.

Ce jardin est un plan de sable en quadrilatère, semi-ceint d’un mur sur une longueur et un côté, au sein duquel sont disposées quinze roches. Deux de teinte claire affleurent du sable, isolées, tandis que les autres, plus sombres, émergent en cinq groupes circonscrits de mousse verte. La claire étendue ensablée est minutieusement peignée. Son mur, surmonté d’une petite toiture pentue, est constitué de glaise et d’huile de colza, de façon que son pan réfléchisse sourdement la luminosité du sable blanc. Quoiqu’il paraisse plat, le plan du jardin s’infléchit faiblement afin de le drainer. La pente d’un mur, associée à celle du plan, produit un imperceptible effet de perspective qui accroît la profondeur de cette surface d’à peine 248 m². Daté de la fin du XVe siècle, période où le temple avait été restauré, peut-être plus ancien encore et sans auteur assuré, ce jardin minéral au végétal sec, ras et minime est un jardin Zen ; le Zen, terme japonais issu de celui chinois Ch’an, issu de celui sanskrit Dhyan qui signifie méditation, est une lignée du bouddhisme qui privilégie l’accueil de l’Eveil par la méditation assise (zazeri) et une présence vierge de pensées durant les agissements quotidiens et le soin d’activités manuelles (samu) ; définition certainement schématique.

Schématique, ce jardin l’est jusqu’à un tel dénuement qu’il fait jaser au lieu de faire taire. Cet « écorché de paysage » (Paul Claudel) paraît à l’esprit qui veut du grain à son moulin une abstraction qu’il faut à tout prix interpréter, ici la mer en place de sable aux vagues minutieusement ratissées, là des ilots et monts, peut-être un nuage ici, ce rocher tourmenté sera celui de la grue, qui symbolise la félicité, cet autre celui de la tortue, pour la longévité. Le symbole est loisible : un des pères supposés de ce jardin, Tessen Sôki, aurait écrit : « Le monticule d’une fourmilière se dresse aussi haut que les Cinq Monts (sacrés) et le trou où se terre la grenouille a la profondeur des mondes infernaux. » Mais l’on sait aussi la dialectique facétieuse des maîtres Zen… Le chiffre 15 pourra corroborer une interprétation symbolique, en ce que l’anecdote la plus connue de ce jardin est qu’on ne peut jamais voir toutes les roches ensemble, une demeurant toujours occultée au regard, car, conjecture, le 15 symbolisant une complétude dans le bouddhisme, les voir toutes serait avoir atteint le satori (l’éveil).

Le plus vieux manuel connu de l’humanité sur l’art de faire un jardin, le Sakuteiki datant du XI ou XIIe siècle, s’ouvrait déjà avec ce premier chapitre « Ishi wo taten koto » (L’Art de disposer les pierres), quand le Japon avait déjà presqu’un millénaire de tradition du jardin (le niwa, espace exempt de souillure). Mais la variété des genres de jardin du Japon au long de ses empires, leurs modes, des inspirations religieuses – le Shintoisme originel, le bouddhisme venu de Corée, le Zen – de l’influence continentale, surtout chinoise, aurait une cohérence syncrétique, un style: des connaisseurs tiennent qu’on y retrouve toujours une mise en scène de la mer d’où émergent des montagnes, du fluide et du stable, de l’éphémère mouvant et de l’éternel immuable.

Or un fait moins connu rapporté par François Berthier est qu’à la fin de l’ère Muromachi (1333-1568), le jardin de Ryōan-ji était célèbre pour son cerisier… Laissant donc là le tintamarre des spéculations, il demeure que la rareté austère des éléments et l’équilibre mystérieux qui les relie prédisposent un être qui s’y essaiera à ne pas se laisser divertir par la profusion sensible afin de s’imprégner du calme énigmatique de cet agencement minéral. A défaut, un selfie sur fond de Ryōan-ji fera toujours l’affaire.

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