Rrose Sélavy

09.02.2018
Portrait de Rrose Sélavy en 1921, par Man Ray

Portrait de Rrose Sélavy en 1921, par Man Ray

Rrose Sélavy, le double féminin de Marcel Duchamp, par Sylvie Aubenas

Après la tentative commune de création d’un musée d’art moderne intitulé « Société anonyme Inc. », Marcel Duchamp propose à son ami Man Ray un nouveau défi. Au début de 1920 dans le studio new-yorkais du photographe a lieu une curieuse séance de pose. Duchamp travesti et maquillé en femme, donne un visage à une créature imaginée pour réaliser et signer quelques-unes de ses œuvres. Cette effigie ambiguë, qui porte chapeau et rangs de perles, a déjà un nom : Rrose Sélavy.

Créée par Duchamp, virtuose des jeux de mots, des calembours, des doubles sens, cette identité faussement banale ouvre à de multiples interprétations : depuis le populaire « Rose, c’est la vie ! » jusqu’à « Eros c’est la vie » en passant par « La vie en rose » ou « arroser la vie » … Les doubles sens ainsi que le double R initial renforcent la duplicité du personnage auprès de l’artiste. Rrose avec deux R se démarque ainsi du prénom le plus banal, aussi bien en France qu’aux Etats-Unis où vit alors Marcel Duchamp. Celui-ci donnera évidemment tout au long de sa vie de fausses pistes et des explications contradictoires au choix de ce pseudonyme.

Ready made, créature et auteur, Rrose signe de nombreuses œuvres dont les titres sont eux-mêmes à multiples sens : French Window /Fresh Widow copyright Rrose Sélavy dès 1920, Why not sneeze Rrose Sélavy en 1921. La revue éphémère, New-York Dada affiche alors sur sa couverture une autre création de Duchamp et Man Ray, un flacon de parfum dont l’étiquette illustrée du portrait de Marcel travesti en Rrose s’intitule « Belle Haleine Eau de Voilette RS New-York Paris 1921 ». Lorsque Man et Marcel présentent Rrose à Paris en 1921 au groupe surréaliste d’André Breton, c’est un succès immédiat. Robert Desnos lui prête des aphorismes lors des séances d’écriture automatique du groupe. D’autres de ses paroles forgées par Duchamp, paraissent cette même année 1922 dans Littérature, la revue d’André Breton. Rrose Sélavy apparaît périodiquement pendant des décennies jusqu’à un dernier dîner en son honneur organisé par Duchamp à Paris en 1965.

Sylvie Aubenas, historienne de la photographie et Directrice du département des Estampes et de la Photographie de la Bibliothèque Nationale de France.