« Rose-fever »

08.02.2016
"Pelleas et Melisande", 1927 (Erté, 1892-1990) (© 2016 Artists Rights Society (ARS) New York)

"Pelleas et Melisande", 1927 (Erté, 1892-1990) (© 2016 Artists Rights Society (ARS) New York)

Rose de musique ou d’écriture, la rose exhale un vertige. Partout où elle a poussé, la rose a ensemencé poèmes, chants, dessins… Mais notes et mots, pinceau inclus, échouent, parfois sublimement, à rendre ce qu’elle offre, toujours simplement : son parfum.

Aussi Marcel Proust ne s’y risque-t-il pas. Quoiqu’il soit le moins avare des écrivains en descriptions de l’indicible, il s’en tient pourtant au rhume des foins au sujet de ce vertige, non sans ironie… C’est au propos de l’évocation d’une autre œuvre, l’opéra Pelléas et Melisande composé par Claude Debussy (1862-1918) sur un livret de Maurice Maeterlinck (1862-1949), qui fut créé en 1902. Ce long drame servi par une musique au prestige esthétique capiteux charrie dans son déploiement beaucoup d’odeurs, tantôt de ténèbres, tantôt sensuelles.

« Eh bien, voici l’eau stagnante dont je vous parlais… Sentez-vous l’odeur de la mort qui monte ? » chante Mélisande dans le souterrains du château… Mais soudain en sortant sur la terrasse l’air frais de la mer et des fleurs revigore les personnages : « Tiens ! On vient d’arroser les fleurs au bord de la terrasse et l’odeur de la verdure et des roses mouillées monte jusqu’ici. Il doit être près de midi; elles sont déjà dans l’ombre de la tour… » chante alors Pelléas.

Alors, dans l’ouvrage Le côté de Guermantes (publié par Proust en 1920/21) lorsque Madame de Cambremer que visite le narrateur lui déclare : « C’est vrai que nous avons beaucoup de roses […] notre roseraie est presque un peu trop près de la maison d’habitation, il y a des jours où cela me fait mal à la tête. C’est plus agréable de la terrasse de la Raspelière où le vent apporte l’odeur des roses, mais déjà moins entêtante. » Il se tourne vers sa belle-fille pour lui livrer cette réponse : « C’est tout à fait Pelléas […] pour contenter son goût de modernisme, cette odeur de roses montant jusqu’aux terrasses. Elle est si forte, dans la partition, que j’ai comme le hay-fever et la rose-fever, elle me faisait éternuer chaque fois que j’entendais cette scène. » (le hay-fever est un rhume des foins)

L’auteur se joue certainement du snobisme de ses interlocutrices. Mais il fait aussi d’une pierre deux coups. Car en rapportant l’effet qu’ont sur sa personne l’œuvre et ses parfums de rose, en forçant le trait par la fièvre et l’éternuement, il rend aussi hommage au trouble fantastique de cet opéra. Son compositeur n’avait-il pas confié à Ernest Guiraud, son professeur de composition, qu’il souhaitait que la musique de Pelléas… eût l’air de sortir de l’ombre et par instants, y rentrât…

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