Rébus édifiants

18.02.2016
Sainte-Chapelle du Palais, Paris (vitrail, détail)

Sainte-Chapelle du Palais, Paris (vitrail, détail)

A l’origine, les trois grandes religions dites du Livre prohibent les images. Toute représentation du divin est un sacrilège. Mais au fil de subtilités théologiques de haut vol, le pape Grégoire le grand décrète au VIème siècle que « l’image est l’écriture des illettrés. »

Réalité mystique révélée à l’humanité, ou mythologie parmi d’autres, ou fables allégoriques, ou contes obscurantistes, quel que soit le regard porté sur les religions selon les convictions et la tradition de chacun, toute foi instituée procède d’un récit des origines. Ce récit doit être inculqué aux fidèles, et communiqué aux laïcs, particulièrement quand ce culte est œcuménique. Or la plupart ne savaient pas lire jusqu’il y a peu. L’alphabétisation systématique des populations est récente, à peine plus d’un siècle pour ses plus anciennes mises en œuvre.

Durant les quelques mille ans de l’âge médiéval, du 5e au 15e siècle, naît et croît une iconographie chrétienne de célébration pédagogique. Les images produites ne sont pas sacrilèges parce qu’elles ne procèdent pas d’une idolâtrie (du grec ancien eidololatria, formé de eidolon, « image » et latreia, « adoration »). Il ne s’agit pas de vénérer une représentation, mais de lire l’histoire qu’elle narre. Le grand historien médiéviste Georges Duby écrit : « Hugues de Saint-Denis [7-8ème siècle] proclame que chaque image sensible est signe ou « sacrement » des choses invisibles, celles que découvrira l’âme lorsqu’elle sera dégagée de son enveloppe corporelle. » Autrement dit, le divin n’est pas dans l’image, mais celle-ci l’indique.

Les vitraux des cathédrales de la période gothique (dès le 12e siècle) sont le témoignage le plus accompli de la mise en lumière du grand récit chrétien par des images. Leur compréhension est aujourd’hui absconse sans les enseignements théologiques et les sermons du Moyen-Age. Leur splendeur seule nous demeure. Parmi les plus rayonnants de beauté, les vitraux de la cathédrale de Chartres et ceux de la Sainte-Chapelle illuminent quiconque fait silence pour s’en pénétrer.

L’iconologie, science des images, est une discipline d’étude qui recoupe les champs universitaires de l’histoire, l’histoire de l’art, la philosophie esthétique et la communication, fondée par Aby Moritz Warbug (1866-1929) et que la renommée du savant Erwin Panovsky (1892-1968) a grandement fait connaître. Appliquée à l’imagerie chrétienne médiévale et gothique, l’iconologie a mis en relief les différents degrés de lecture de ces images, ainsi que la signification de leurs emplacements (position cardinale dans l’édifice, hauteur…). Ainsi y aurait-il une lecture littérale, ou historique, des faits dépeints. Puis une lecture allégorique ou typologique, qui souvent tend à réconcilier l’ancien testament avec les Evangiles. Se superposent enfin les degrés de lecture tropologique et anagogique, le premier traitant de l’aspect moral du récit, qui doit aider le croyant à en prendre exemple, et le second et dernier considérant les réalités ultimes qui ne seront visibles qu’à l’âme.

Et encore se peut-il que ces images recèlent un sens secret pour les alchimistes, où les nombreux corps de métiers d’alors, constitués en corporations d’initiés, auraient codé pour l’éternité leurs savoirs spirituels par leurs savoir-faire…

Bande-dessinées sans bulles, à part papales, les vitraux de la chrétienté médiévale sont un récit didactique en langue de lumière.