PROVOKE

27.04.2018
Anonyme, Contestation autour de la construction de l’aéroport de Narita, c. 1969 / Collection Art Institute of Chicago

Anonyme, Contestation autour de la construction de l’aéroport de Narita, c. 1969 / Collection Art Institute of Chicago

PROVOKE – Matière à provoquer la pensée? par Diane Dufour

Largement ignorée en son temps, la revue Provoke, publiée en 1968-1969 est aujourd’hui reconnue comme un jalon majeur de l’histoire de la photographie.

Le collectif, composé de photographes, penseurs et poètes, a polarisé le meilleur de la création photographique japonaise des années 1960, privilégiant dans sa pratique l’image imprimée sous toutes ses formes (presse, livres, revues). À la fois manifeste et œuvre collective, Provoke assigne à la photographie un nouveau rôle en réaction aux troubles violents qui ébranlent la société japonaise autour des œuvres essentielles de ses membres : Takuma Nakahira (For a langage to come), Daido Moriyama (Accident), Yutaka Takanashi (Towards the city) ; et en écho à l’émergence de la scène performative nippone et de ses grandes figures : Natsuyuki Nakanishi, Jirō Takamatsu, Kōji Enokura, Shuji Terayama….

La publication des 3 numéros de Provoke intervient dans un contexte de désillusion : à la fin d’une décennie de soulèvements contestataires jugés stériles, la photographie militante a vécu, et la lutte collective cède la place au corps du photographe seul errant dans l’espace urbain.

Pour les membres de Provoke, il s’agit dorénavant d’extraire la photographie de son carcan idéologique, factuel, pour privilégier une capture subjective, fragmentée, explosive de l’expérience du monde. La réalité étant par nature insaisissable dans sa complexité et ses contradictions, la photographie renonce ici à son pouvoir de transcription, pour privilégier une esthétique du flottement, de la confusion. Devenir « voyants » pour atteindre « quelque chose qui se situe avant la forme ». (Kōji Taki)

S’impose un langage brut, flou et granuleux (are, bure et boke en japonais) qui repousse la photographie aux confins de la lisibilité. Le flux met à mal la toute-puissance de l’image unique. La juxtaposition, le collage, la répétition contestent l’autorité de la séquence, du récit. Dans le contexte d’une société de consommation fétichiste, ou la profusion d’images médiatisées rend virtuelle toute réalité, ou l’art lui-même est instrumentalisé, figurer l’impossibilité de représenter, honorer l’absurdité, privilégier le chaos, constitue le seul geste possible.
Provoke rend donc manifestes, sans les résoudre, les liens complexes entre photographie et langage, entre art et résistance.

« Aujourd’hui, à cet instant précis, le langage est en train de perdre sa base concrète – en d’autres termes, sa réalité –, pour flotter dans l’espace. En tant que photographes, nous devons capturer avec notre propre regard des fragments de cette réalité qui ne peut plus être saisie par le langage existant, et nous devons activement promouvoir les matériaux permettant de traduire le langage et les idées. C’est pourquoi nous avons été assez audacieux pour donner à Provoke le sous-titre ‘Matière à provoquer la pensée. » — Takanashi, Nakahira, Taki, Okada, préface de Provoke 1

 

Diane Dufour a été directrice de 2000 à 2007 de Magnum Photos. Elle créé LE BAL à Paris en 2010 avec Raymond Depardon, espace contemporain dédié à l’image-document sous toutes ses formes (photographie, vidéo, cinéma, nouveaux médias).