Les pommes vertes et les petites cellules grises

20.07.2018
Illustration du détective Hercula Poirot (© Illustrated London News Ltd/Mar)

Illustration du détective Hercula Poirot (© Illustrated London News Ltd/Mar)

Voler les pommes d’or du jardin des Hespérides était le onzième des douze travaux d’Hercule. Les restituer représentera le onzième des douze autres d’un autre Hercule autrement plus distingué que ce « malabar au front bas animé de tendances criminelles » antique : Hercule Poirot !

Ces fameuses pommes d’or du récit mythologique désignaient symboliquement des oranges, ou des coings, ou peut-être encore par homophonie des moutons. Quelle idée, mais ce sont des émeraudes ! Et serties autour d’une coupe d’une valeur inestimable, probablement l’œuvre du grand Benvenuto Cellini, artiste majeur de la Renaissance italienne. « La coupe présente un arbre autour duquel s’enroule un serpent de pierreries. Et aux branches pendent des pommes, qui sont autant de superbes émeraudes » : il s’agit bien sûr d’une des affaires confiées au génial détective inventé par Agatha Christie.

Dans Les douze travaux d’Hercule, qui réunit douze nouvelles aux titres identiques à ceux du récit mythologique, Hercule Poirot entend achever sa carrière en bouclant douze dernières affaires qui seront choisies pour leur lien – tiré par les cheveux par un être tiré à quatre épingles – avec les aventures du héros antique. Tout est né de la réflexion désobligeante d’un ami de Poirot, le Professeur Burton, membre éminent du collège d’All Souls à Oxford, aussi débraillé qu’est apprêtée la mise coquète du célèbre détective. Il lui fait le reproche de n’avoir jamais su consacrer de temps à l’étude des « grands classiques ». « J’ai très bien réussi sans eux » lui rétorque le vaniteux et si sympathique bonhomme.

Poirot feuillette un peu plus tard le récit des aventures du grand Hercule. Il s’effare de ce grossier personnage. Quant aux dieux de la mythologie « ils se comportaient d’ailleurs comme de parfaits délinquants. Alcoolisme, débauche, inceste, viol, brigandage, meurtre et captation d’héritage, il y avait là de quoi occuper un juge d’instruction à plein temps ! Nulle vie de famille décente ! Aucun ordre ! Pas de méthode ! Jusqu’à leurs crimes et délits, qui trahissaient une absence totale de discipline et de raisonnement ! »

Ainsi résoudra-t-il une affaire qu’il saura apparenter aux pommes d’or du jardin des Hespérides. Une coupe d’une inestimable valeur a été volée et son propriétaire, financier dominateur, entend la récupérer. Les pistes sont nombreuses et parcourent la planète. Le détective flaire la bonne en un tour de de main. Par un fort habile retournement final, il déjouera l’instinct de captation de son client en lui restituant la coupe volée sous une condition aussi inattendue que morale…

Agatha Christie s’amuse de la vanité de son héros : « Comme s’il s’avouait de souche royale, le petit homme déclara avec modestie : « Je suis Hercule Poirot. » Mais ses agissements n’en demeurent pas moins généreux et justes. Imbuvable, c’est un homme bon. Et quoique rigoureux à l’excès, il n’en reste pas moins inconséquent, puisqu’au terme de ces douze enquêtes il ne s’en ira pas cultiver des courges comme il le prévoyait pour sa retraite, mais continuera à faire fleurir ses géniales méninges pour bien des aventures encore.