Pistoletto

26.02.2018
Michelangelo Pistoletto 6 Muro di stracci (Wall of Rags), 1968

Michelangelo Pistoletto 6 Muro di stracci (Wall of Rags), 1968

Muretti di Stracci, par Paul Nyzam

Entre 1967 et 1968, dans un contexte politique et culturel particulièrement mouvementé, l’artiste italien Michelangelo Pistoletto réalise une série de sculptures qui vont s’avérer déterminantes dans l’histoire de l’art des années d’après-guerre. Il s’agit des Muretti di Stracci, littéralement « petits murs de chiffons ». Ces murs sont faits de briques enrobées dans des chutes de tissu coloré, toutes différentes les unes des autres, engendrant in fine des constructions chamarrées, dont la fonction n’est pas de clôturer un espace ou d’empêcher un franchissement, mais simplement de se montrer en temps qu’œuvres d’art autonomes. 

Lorsqu’il s’attèle à cette série, Pistoletto est déjà un artiste reconnu en Italie. Depuis le début des années 1960, il s’est fait connaître par ses peintures réalisées sur miroir, dans lesquelles le spectateur se contemple lui-même en même temps qu’il les regarde. Les Muretti di Stracci opèrent cependant un tournant dans son travail. Il n’est en effet ici plus question de peinture : aux tubes et à la palette se substitue désormais l’amplitude chromatique offerte par la diversité des chiffons colorés. Rebuts de la société de consommation triomphante à l’heure des swinging sixties, ces chiffons sont un matériau banal, insignifiant, auquel il est a priori difficile d’accorder un statut artistique. 

Il en va de même pour les briques, qui n’en sont toutefois pas à leur première incursion dans le vocabulaire plastique des artistes contemporains. Ainsi, en 1966, l’Américain Carl André les utilisait déjà dans ses sculptures ; mais si l’artiste minimal s’en était emparé pour leur structure élémentaire et leur pureté formelle, Pistoletto les choisit aussi pour leur charge politique. Les temps sont en effet à la contestation aux quatre coins d’une Europe divisée par des murs, à la fois réels et idéologiques. Et l’Italie n’échappe pas aux soulèvements estudiantins qui se traduiront, en France, par des barricades de pavés. 

Ainsi, les Muretti di Stracci posent l’une des premières pierres de ce que le critique d’art Germano Celant appellera bientôt l’Arte povera. Attitude davantage que mouvement à proprement parler, l’Arte povera réunit à Turin un certain nombre d’artistes – Jannis Kounellis, Mario Merz, Luciano Fabro, Alighiero Boetti, Giulio Paolini, Giuseppe Penone, entre autres – unis dans une approche critique de la société de consommation et des institutions culturelles, rejetant à la fois le Pop art américain et l’abstraction européenne. Un art pauvre donc, qui a recours à des matériaux triviaux – sable, bois, terre cuite, cuir, charbon, végétaux, tabac, goudron, corde, cheveux, toile de jute, etc. – pour mieux s’ancrer dans le réel. Un art au diapason de l’époque qui le voit naître, radical et subversif, animé par un esprit de révolte en même temps que de poésie.

 

Paul Nyzam est spécialiste en art contemporain chez Christie’s.