Pierre de Fenoÿl

27.06.2016
21.6.85 18h (France, Tarn, 1985), photographie de Pierre de Fenoÿl

21.6.85 18h (France, Tarn, 1985), photographie de Pierre de Fenoÿl

Une géographie imaginaire, par Virginie Chardin

Pour Pierre de Fenoÿl, la photographie est un art de réception, à la différence des arts d’extraction que seraient la peinture ou la littérature. Pour atteindre cet état de réception, il pratique intensément la marche à pied, affirmant même qu’elle est « la seule école de photographie. »

En 1984, la Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (DATAR) lance une Mission photographique inspirée de la Mission héliographique de 1851 pour établir un état des lieux du paysage français, et fait appel à Pierre de Fenoÿl aux côtés de Gabriele Basilico, Sophie Ristelhueber ou Christian Milovanoff. En commençant les prises de vues, lui vient l’envie de s’installer dans le Tarn. C’est dans cette région qu’il prendra la majorité de ses images. Pierre de Fenoÿl y marche des journées entières, fasciné jusqu’à l’envoûtement par les feuillages, les arbres, le vent, les ondulations de la terre et les ciels. « Parfois, dans les bons jours, il arrive que les nuages se mettent là où on le désire, C’est alors une grande joie évidemment. Qui ne rêve pas de jouer avec les nuages ! », écrit-il. Dans ses paysages, nulle trace de personnages ni de l’activité industrielle contemporaine, bien que la présence humaine soit palpable à travers les cultures, monuments, jardins, cimetières ou édifices religieux.

Pierre de Fenoÿl y recherche l’esprit des lieux, les traces de l’histoire, autant que l’apparition furtive d’un eden ou d’un jardin des délices sur laquelle plane parfois, malgré la douceur, une ombre tourmentée. Aidé de sa femme, qui tire ses images, il utilise le même style de tirage sombre que pour ses paysages parisiens et égyptiens, créant un trouble temporel qui rend hasardeux de savoir si l’on se trouve à la fin ou au début d’un monde.

Car l’obsession première de Pierre de Fenoÿl, c’est le temps. « Dans ce voyage initiatique plus qu’esthétique, l’important est de regarder le temps passer, non pas de passer le temps à regarder » car l’appareil photo « partant du regard intérieur, transforme le temps qui passe en regard éternel ». « Je ne suis ni géomètre, ni illuminé, déclare-t-il dans une allusion à Cartier-Bresson, je suis, je veux être, un chronophotographe à la recherche du temps présent. »

Dès ses débuts, la référence spirituelle est à peine voilée, elle deviendra explicite. « Mon cheminement dans le monde de la photographie me fait incliner décidément vers une conception religieuse, quasi mystique de la photographie », écrit-il en 1983. Cette recherche existentielle de présence au monde est particulièrement évidente dans les photographies que l’auteur prend de son ombre sur les paysages traversés, ou dans ces étranges images de la propriété des Châteliers, en Anjou, qui semblent habités par des esprits ou des souvenirs. Il est du reste significatif que la première apparition de Pierre de Fenoÿl dans une exposition institutionnelle ait lieu dans l’exposition « Autoportraits photographiques » au Centre Georges Pompidou en 1981. Par la suite, Pierre de Fenoÿl réalisera de nombreux autoportraits, toujours sous forme d’ombres portées sur le paysage qu’il photographie.

La singularité de ses images lui vaut de figurer dans la plupart des expositions consacrées à l’école française des années 1980 qui, fidèle au noir et blanc et à l’introspection ou à l’autobiographie, rassemble des auteurs comme Arnaud Claass, Magdi Senadji, Bernard Plossu, Daniel Boudinet, Keiichi Tahara, Jun Shiraoka, Christian Milovanoff, Holger Trulzsch ou Denis Roche.

Le 4 septembre 1987, sans qu’aucun signe ne l’ait laissé prévoir, Pierre de Fenoÿl s’effondre brusquement, terrassé par une crise cardiaque. Il laisse derrière lui une ouvre courte mais dense.

L’œuvre de Pierre de Fenoÿl, redécouverte par la galerie Le Réverbère grâce à une collaboration active et passionnée avec sa famille, sera exposée sur le stand de la galerie à Paris Photo en novembre 2016 ainsi que dans une exposition collective intitulée Notre beauté fixe, célébrant les 35 ans d’existence de la galerie Le Réverbère à Lyon, à partir de janvier 2017.

 

Virginie Chardin est commissaire de l’exposition Pierre de Fenoÿl au Château de Tours, annexe du musée Le Jeu de Paume. Pierre de Fenoÿl est représenté par la galerie Le Réverbère, Lyon.