Petite histoire du parfum à l’ère moderne (III)

24.07.2017
Brigitte Bardot, probablement lors du tournage de "Et Dieu... créa la femme" de Roger Vadim, sorti en 1956.

Brigitte Bardot, probablement lors du tournage de "Et Dieu... créa la femme" de Roger Vadim, sorti en 1956.

Le parfum moderne naît grâce aux premières molécules de synthèse. A la Belle Epoque, sa belle idylle avec la haute couture, une instance huppée en repli du monde populaire, acquerra au cours du siècle un statut de couple à la stature industrielle donnant le pli au plus grand nombre.

[SUITE] A l’après-guerre naît lentement le prêt-à-porter. La haute couture conserve le prestige et l’empire, mais il s’agît dorénavant de conquérir tout un marché de femmes qui ne sont ni moins belles ni moins soignées, coquettes et élégantes pour n’être pas riches. Le parfum devient cet objet luxueux d’excellence à portée de toutes. Les grands parfums sont chers mais accessibles, d’autant qu’un flacon prodigue un long usage de sa substance. L’industrie du parfum ne nuit pas à la rareté ressentie de ses unités : le flacon de parfum.

Les sixties voient enfin la mode florale s’estomper au profit du patchouli et de saveurs plus fumées et boisées. La consommation moderne du parfum croît, plus de femmes en usent et de plus elles en varient. Au tournant des années 70 et 80 commence à s’affirmer des familles de senteurs, qui rentrent en correspondance avec de nouveaux modes d’appartenances sociales : des parfums dits « naturels », ou « sophistiqués », ou « romantiques », sont comme des répons olfactifs aux identités de nouvelles tribus, néoromantique, bon chic bon genre, rock, urbain, classique, yuppie, écolo, etc. Le parfum semble s’accorder aux modes de paraître eux-mêmes en sympathie avec les courants musicaux. Ce sont des correspondances sociologiques nouvelles, plus ou moins conscientes mais manifestes, qui se tissent et évoluent, et que le parfum sait saisir d’un flair plus sûr que ne sont ces frontières fluctuantes de genres et tendances. Le marché est fructueux, depuis longtemps déjà le parfum finance les collections de mode, et la conséquence en est une trop grande offre aux dépens du soin et de la longue élaboration d’une senteur. Le parfum perd de sa superbe. Fait nouveau, il se cumule aussi. Le mythe ne suffit plus à escamoter un fait : le parfum est aussi un produit. La concentration économique des parfumeurs en grands groupes planétaires achève la transition d’un artisanat déjà quantitatif en une industrie de masse. Pourtant, les grands classiques ne meurent ni ne perdent leur aura.
Après des senteurs très marquées durant les années 80 hautes en couleur, la décennie suivante investit de nouvelles notes, celles dites « aquatiques », « fraiches », « gourmandes », de nouvelles synthèses sont testées, d’aliments ou de matières inusitées, et il s’y manifeste un retour à plus de simplicité avec des floraux de qualité. La tendance saine et sportive prend de l’ampleur.

Les lancements de parfums demeurent nombreux depuis les années 2000.  Mais un rehaussement qualitatif s’est fait jour, ainsi que l’affirmation de nouveaux parfumeurs en retrait, moins présents voire absents sur le marché publicitaire, qui conquièrent leur public par leurs recherches originales, le soin du choix des matières premières et leur personnalité. Les offres rares prolifèrent, en éditions limitées, en ventes exclusives et productions saisonnières, permettant des expérimentations qualitatives. Les « chyprés » se sont renouvelés, et plus généralement les parfums classiques demeurent une référence, tantôt réinventés, ré-architecturés au goût du jour, parfois plagiés.
Si les parfums féminins restent fleuris et fruités, le boisé et le fumé y affleure souvent, l’inverse valant pour les parfums masculins. Leurs frontières olfactives sont désormais plus poreuses tout en restant marquées. L’aromatique, peut-être en écho à l’écologie, est aussi de la partie dans les recherches de nouveaux parfums.

Aujourd’hui, l’offre de parfums est si riche, tant en quantités qu’en qualité, que 97 parfums sur cent auront une durée de vie de deux ans. L’image publicitaire et le renom sont les grands artilleurs de la senteur. Mais pour les maisons qui sollicitent le bon goût olfactif de ses clients, celles qui s’adressent à l’art de sentir, fussent-elles de grands noms de légende ou des maisons cultes de moindre notoriété, alors c’est l’innovation, la recherche et le choix des meilleures qualités de matières qui assure pérennité et réussite aux parfums.