Petite histoire de la perspective (I)

03.03.2017
M.C. Escher (1898-1972) - Chute d'eau (1961)

M.C. Escher (1898-1972) - Chute d'eau (1961)

La perspective est une technique de représentation de la réalité. Son effet produit profondeur et volume sur un plan plat. Cette convention picturale paraît naturelle, or elle a une longue histoire. La perspective est même inséparable d’un récit exposant son illusion comme un progrès.

Les peintures préhistoriques, les diverses grandes cultures de l’humanité, l’Antiquité grecque et romaine, les arts d’Asie et jusqu’à la peinture byzantine, ont toutes eu des manières plus ou moins formalisées de figurer la perspective. La distinction entre premier et arrière-plan, la dissimulation des parties de ce dernier derrière celles qui sont devant, la disposition en haut du dessin des éléments lointains, les couleurs chaudes au-devant et froides dans le fond sont des procédés perspectifs manifestes et universels.
Mais par perspective, on distingue plus spécifiquement une modélisation calculée du dessin qui permette de « perspicere » : voir au travers. Il semble que celle-ci fut d’abord le fait d’architectes, de géomètres et de philosophes – et non d’artistes (quand bien même tous ceux-là pussent être une même personne). D’abord en Grèce, avec Agatharchos ayant pensé les lignes de fuite issues d’un centre focal unique selon Vitruve dans De Architectura, et donnant matière à penser aux philosophes Anaxagore et Démocrite, et avec Ictinos, l’un des architectes du Parthénon, avec Pamphilos d’Amphipolis (peintre ayant étudié les sciences, dont arithmétique et géométrie comme conditions de l’art), et avec Pausias de Sicyone, dont l’historien Pline rapporte son art de rendre le relief sur une surface plane. Ces procédés furent utilisés dans la civilisation romaine pour produire des décors de théâtre et peindre l’intérieur de maisons, avec un savoir technique du « trompe-l’œil ».

Les savants philosophes persans et arabes connaissaient ces techniques et produisirent aussi leurs traités d’optique, dont celui d’Alhazen (965-1039) au XIe siècle. L’Islam rayonnant au tournant du premier millénaire fut un relais des savoirs de l’Antiquité, sans qui certains auraient disparu, et qu’ils transmirent à l’humanisme naissant dans l’Europe au terme de l’ère médiévale.

La science de la perspective est formalisée et modélisée à la Renaissance par les grands artistes humanistes d’Italie qui, tout peintre ou sculpteur qu’ils fussent, étaient des intellectuels versés en philosophie, architecture, mathématique, géométrie et dessin. Elle est annoncée par les grands primitifs italiens, Cimabue (1240-1302, Giotto (1267-1337) puis Ambrogio Lorenzetti (1290-1348) dont l’Annonciation est considérée comme la prémisse picturale de la perspective moderne.

On attribue la naissance de la perspective à l’architecte florentin Brunelleschi en 1415 avec son expérience de la « tavoletta » sur la place San Giovanni à Florence, démontrant la possibilité de représenter à l’identique une chose réelle à partir d’un point de vue unique et son point de fuite. En 1435, le traité Della Pittura de l’architecte Alberti propose une méthode géométrique et mathématique de production de la perspective (la costruzione legittima). Léonard de Vinci complètera cette théorie par la perspective curviligne, tenant compte de l’incurvation de la rétine. Avec les artistes flamands, il est aussi l’un des maîtres de la perspective atmosphérique, qui joue des gradations de teintes, de la lumière et du fondu des lignes – grâce à l’effet vaporeux du sfumato – pour faire palpiter l’espace en éloignement et profondeur.

Bien sûr, c’est toute une génération de génies qui imagine cette perspective, la pense et la met à l’épreuve, parmi lesquels Masaccio, dont la fresque de la Sainte Trinité est présentée comme la première œuvre d’art à mettre en œuvre les principes découverts par Brunelleschi. Albrecht Dürer (1471-1528) a aussi un rôle important dans cette histoire : déçu de ne pas être mis dans la confidence de ces savoirs lors de son séjour italien, il conçut divers outils de représentation perspectiviste dont le perspectographe, et rédigea son traité théorique : «Underweisung der Messung mit dem Zirkel und Richtscheit » (Instructions pour la mesure à la règle et au compas). Enfin le géomètre lyonnais Girard Desargues (1591-1661) acheva la théorie de la perspective avec la géométrie projective. [A SUIVRE]

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