La petite histoire de Benjoin Bohème

11.09.2017
diptyque : Invisible Dog Event

L’histoire de Benjoin Bohème, une eau de parfum de la collection Les Exclusives du 34, est un bel exemple du chemin de création chez diptyque. Son sillon peut être long et lent, car fait de conversations, de digressions, de voies de traverse, de culot et de convictions.

Inventer un parfum où chaque ingrédient ait sa nécessité dans un accord dont la structure olfactive soit heureuse, naturellement, mais encore originale au sens noble – c’est-à-dire qui ne copie pas, ni ne suive une recette, mais recherche l’expression olfactive juste d’une idée, d’un sentiment, ou d’un paysage imaginé, cela exige du temps. Ce peut être parfois des années. Et ce temps qui absorbe le « nez » parfumeur avec son interlocuteur de la Maison en dialogues et essais repose sur la confiance, sur une foi partagée, sur l’équivalent dans l’ordre professionnel de ce qu’est l’amitié dans l’ordre affectif. Il y a là bien plus qu’une commande : c’est un dessein commun qui engage des professionnels qui s’estiment et s’apprécient, qui aiment diptyque, connaissent son esprit, et veulent servir et honorer leur métier en cultivant la joie de jouer.

L’élaboration du parfum du 34 boulevard Saint Germain avait été un défi technique. L’idée maîtresse était de faire une eau qui restitue l’âme olfactive de la boutique diptyque, dans l’espace exigüe de laquelle flottait  un demi-siècle de fragrances. Son air recelait l’histoire invisible de la maison. C’était un défi technologique. L’on avait d’abord procédé à une encapsulation méthodique de tous ses recoins de volumes, par la technique du « head space » et la modélisation de ces échantillons en un parfum avait été l’affaire de longs mois.

Comme toujours, ce temps d’élaboration fut l’occasion d’un échange riche entre diptyque et Olivier Pescheux, le « nez » à qui était confiée cette création. De ces discussions naquit un défi complémentaire, celui-ci plus imaginatif que technologique : inventer le parfum qui siérait idéalement au locataire imaginaire du 34 boulevard Saint Germain. Les discussions s’amusèrent à en faire son portrait, l’imaginant esthète, voyageur, soigné, cultivé, original, immanquablement raffiné. Puis vint le temps de la transcription de ce portrait en parfum. Aux traits de cette personnalité devait correspondre des matières premières. Ce furent l’ambre, des épices, et surtout le Benjoin. Le visage du locataire prenait peu à peu sa forme olfactive, l’accord du parfum se structurait. Pourtant, il y manquait son je-ne-sais-quoi pour parfaire la fidélité de ce portrait fictif. Maints essais manquèrent la cible. La fragrance demeura plusieurs années ainsi inachevée, en attente d’un supplément insaisissable par lequel le tout serait supérieur à la somme de ses parties.

Un jour, lors d’une discussion sans objet particulier, Olivier Pescheux fit part à Myriam Badault, Directrice de la Création Produit de diptyque et interlocuteur du parfumeur, d’un nouveau mode d’extraction du patchouli – dite fractionnée – qui en restituait l’odeur avec plus de puissance et de finesse. Elle proposa alors qu’on en testât l’adjonction sur ce parfum inachevé structuré autour du Benjoin. Pourquoi pas ? C’était l’état d’esprit. Soudain, les traits encore flous du visage du locataire du 34 bd saint germain se firent nets : ce patchouli faisait tout bonnement l’effet du nez au milieu de la figure. L’accord du parfum respirait la plénitude. L’élément manquant et décisif s’était révélé par incidence. Mais celle-ci plongeait ses racines dans la patience et la connivence. Le parfum Benjoin Bohème était enfin là.

Cet exemple illustre une forme de sérendipité, terme qui désigne en science une découverte accidentelle, souvent à l’occasion d’une recherche ayant un autre objet. C’est aussi l’occasion de distinguer entre le hasard et la chance. Celui-là advient sans raisons. Celle-ci se cherche, se choie et se gagne. C’est la relation d’élection entre deux professionnels qui se connaissent, ont de l’amitié l’un pour l’autre, et qui joutent d’exigence, qui a permis que la chance se manifestât un jour sous les traits inattendus du patchouli.