La perspective de David Hockney

27.03.2017
David Hockney, Hollywood Hills studio, le 8 décembre 2015 (© Katherine McMahon)

David Hockney, Hollywood Hills studio, le 8 décembre 2015 (© Katherine McMahon)

La perspective de David Hockney, par Tessa Lord

« Les peintres ont toujours su qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas avec la perspective… » – David Hockney

David Hockney, connu pour être l’un des artistes les plus célèbres et les plus reconnaissables, a donné tout au long des soixante dernières années un nouvel élan à la peinture figurative. Ce faisant, il produisit l’une des séries d’œuvres les plus exubérantes et diversifiées de sa génération, évoluant constamment avec son environnement, qu’il s’agisse de la Californie des années 1960 ou des paysages de son Yorkshire natal, en embrassant de nouvelles formes picturales allant de la photographie au dessin sur iPad. Régulièrement à la source d’innovations techniques, il n’en garda pas moins l’histoire de l’art comme fil directeur de son œuvre, au service de l’enrichissement de son style. Son traitement innovant de la perspective en est l’emblème le plus marquant.

Diplômé du Royal College of Art en 1962, Hockney formait le noyau de ce que nous appelons aujourd’hui le « Brit Pop » aux côtés de R.B Kitaj et Allen Jones. Il fit irruption sur la scène londonienne grâce à ses œuvres semi-autobiographiques, dont notamment ses fameux « Love Paintings ». Les décennies suivantes menèrent Hockney à partager son temps entre la Californie, Londres et Paris. Au cours de ces années, il produisit des œuvres emblématiques qui captivèrent une génération, avec par exemple une peinture précurseur du Pop Art, « A Bigger Splash » (1967).

Toutefois, les années 1970 virent Hockney s’éloigner de son label Pop Art pour se lancer dans sa propre exploration des méthodes de représentation du monde visible, avec des œuvres comme « Mr and Mrs Clark and Percy » (1970-1). Toujours diversifié dans ses pratiques, au cours des décennies suivantes, conduit par sa fascination croissante pour l’objectif de la caméra, il s’immergea pleinement dans la photographie. Passionné par ce domaine, Hockney mis en œuvre cette nouvelle méthode de travail lorsqu’il rompit radicalement avec la notion traditionnelle d’unique perspective centrale qui dominait l’art occidental depuis la Renaissance.

« Nous ne contemplons pas le monde avec de la distance ; nous sommes à l’intérieur, et c’est ainsi que nous ressentons … je ne veux pas me contenter de regarder par des trous de serrures » – David Hockney

Muni de solides connaissances des innovations de l’histoire de l’art, depuis la peinture traditionnelle des paysages chinois et le chevauchement des perspectives, en passant par des cubistes comme Paul Cézanne et Pablo Picasso, avec leur aplanissement de l’espace, Hockney révolutionna radicalement l’uniformité du plan pictural, et plus particulièrement la relation entretenue par le spectateur avec ce dernier. Il développa le principe selon lequel le spectateur n’était pas en face de l’image en train de contempler l’œuvre par une fenêtre ou un trou de serrure, mais qu’au contraire il échappait à la linéarité de l’image, qu’il s’immergeait dans la scène elle-même, restant conscient tout en étant connecté simultanément à différents angles de vue. Pour Hockney, l’image n’était plus une fenêtre statique faisant face au spectateur ; confronté à des points d’entrée multiples, ce dernier expérimente l’image dans son intégralité. L’effet obtenu est une perception globale de l’œuvre.

Dans des travaux comme « The Sea at Malibu », Hockney ébranle l’espace pictural, puis le reconstruit en permettant au spectateur de s’immerger en son centre. Grâce à ses coups de pinceaux extrêmement expressifs, le roulement des vagues en contrebas de sa demeure de Malibu semble jaillir hors du plan pictural, emportant le spectateur de toutes ses forces. Les paysages ondulants du Yorkshire produisent un effet similaire, tout comme sa déconstruction de la nature morte classique. Il est indéniable qu’à travers ses œuvres Hockney a créé une manière fondamentalement originale et séduisante de percevoir l’espace pictural. Grâce au très attendu ensemble rétrospectif sur le point d’être inauguré à la Tate Britain cette année, le public pourra contempler directement l’immense diversité de sa pratique innovante pour la première fois depuis 1988.

 

Tessa Lord est spécialiste en Arts d’après-guerre et contemporain à Christie’s Londres.