La peinture : dans l’œil du mythe

30.07.2018
Jean-Baptiste Regnault  (1754–1829) - L'Origine de la peinture.

Jean-Baptiste Regnault (1754–1829) - L'Origine de la peinture.

La photographie est l’impression de la lumière au travers d’une chambre noire. Et si la peinture avait été, en son origine mythique, la projection de l’ombre d’un visage sur une surface claire? Etranges prémices qui surlignent les contours en laissant les traits de la figure dans l’obscurité…

On cite à plaisir ce mythe narré par l’auteur latin Pline l’Ancien (23-79), selon lequel la peinture serait née de l’ingéniosité d’une jeune fille inspirée par l’amour. Profitant du sommeil du jeune garçon qu’elle aime et qui partira bientôt à l’étranger, elle dispose une lanterne derrière son visage afin de projeter son profil sur un mur, qu’« elle entoura avec des lignes ». Cette jeune fille de la cité de Corinthe était la fille de Butadès de Sicyone, potier. Celui-ci se servit de ce profil dessiné pour en faire un relief en argile qu’il fit sécher et cuire avec ses poteries. Au vrai, ce mythe devrait être celui de l’origine de la figuration plastique, de la sculpture !
Pourtant un autre passage du texte de Pline, rapporté par l’helléniste et mythologue française Françoise Frontisi-Ducroux, confirme cette origine mythique de la peinture comme contour : «  La question de l’origine de la peinture est incertaine et ne relève pas du plan de cet ouvrage. Les Égyptiens déclarent qu’elle fut inventée chez eux, il y a six mille ans, avant de passer en Grèce, ce qui est de toute évidence une vaine prétention. Quant aux Grecs, certains disent qu’elle fut inventée à Sicyone, d’autres à Corinthe, mais tous s’accordent à dire que c’est en entourant avec des lignes l’ombre d’un homme ; ce fut par conséquent la première étape, mais la seconde, lorsqu’une méthode plus élaborée eut été inventée, procédait avec des couleurs uniques, appelée monochrome, encore en usage actuellement. » (Histoire Naturelle. XXXV, 151). Or les grands théoriciens de la Renaissance italienne, Alberti, Vasari, et Léonard de Vinci évoquèrent aussi l’ombre à l’origine du dessin et de la peinture.

Il a été avancé que ce mythe pourrait s’ancrer dans la polysémie du terme grec « korê », qui désignait la jeune fille vierge mais aurait plus tard  également nommé la pupille de l’œil.
La présence de la jeune fille signifie que la peinture est née de l’amour. Cet amour lui a inspiré un procédé pour conserver la mémoire de l’être aimé. Mais cette mémoire, quoique fidèle en son contour, ne recopie pas la réalité. Cette idée que la peinture imite sera tardive dans l’art, tant la figuration semble toujours avoir eu pour objet de symboliser la réalité. Et peut-être est-ce là un sens possible de cette ombre.
La pupille de l’œil apporte une signification propre à la compréhension de la vue par les grecs : elle est cette partie dans laquelle se reflète la figure observée. Or reflet et ombre sont mêmement dénommés en grec. Par ailleurs, certains philosophes antiques comparaient alors l’organe de l’œil à une flamme protégée de parois translucides, symbolisée par la lanterne du mythe. La jeune fille aimante serait alors cet œil désirant qui enregistre le reflet de l’objet de son admiration.

Invoqué à tous bout de champs, citant un Pline qui doit être bien peu lu de nos jours, ce mythe à la crème n’est donc pas si tarte qu’il paraît. A son origine, la peinture ne fait que circonscrire la réalité, qui demeure aussi inimitable que mystérieuse. Cette idée perdure dans le terme même de portrait, à l’intéressante étymologie de « pour traire » quand traire avait entre autres sens celui de tracer un trait.