Le patchouli en tout bien tout honneur

09.03.2018
Feuille de patchouli

Feuille de patchouli

Le patchouli vient de loin, le plus souvent d’Indonésie ou de Malaisie. Et il revient aussi de loin, depuis qu’une parfumerie exigeante le traite avec plus de finesse, le libérant de préjugés sociaux qui l’ont associé à la légèreté des mœurs, des courtisanes parisiennes à la culture hippie.

La puissance de l’odeur du patchouli couvre une ample palette de couleurs olfactives qui subjugue, parfois jusqu’à l’écœurement : ses notes graves classiquement répertoriées de bois, de camphre, de terre, de mousse, de verdeur humide et fumée, peuvent s’amplifier jusqu’aux accents sombres de la moisissure, de la pomme fermentée ou du bouchon. Cette amplitude olfactive est si riche qu’aucune synthèse chimique ne sait la reproduire dans toute sa profonde complexité. Le patchouli destiné à la parfumerie est essentiellement cultivé en Indonésie. Sa senteur s’obtient d’abord par distillation artisanale, dans les villages qui le cultivent.

Mais ce sillage odorifère intense promis à tout parfum qui le sollicite est un atout qui a coûté néanmoins quelque disgrâce au patchouli.
D’une part parce qu’il a été souvent sommé à la rescousse pour camoufler d’autres senteurs plus traitres. On l’a blâmé d’être propice à embaumer les alcôves où le riche bourgeois perpétrait ses infidélités réglementaires au XIXe. Un siècle plus tard, on l’a soupçonné d’escamoter de ses effluves enivrants les épaisses fumées relevées au chanvre du hippie. Calomnies !
Mais le patchouli fut en effet en vogue à Paris sous le Second Empire. Il avait été constaté que les châles de cashmere importés d’Inde qui avaient voyagés en rouleaux dans lesquels avaient été insérées des feuilles de patchouli aux vertus antimites avaient parmi l’éventail de soieries à l’étal la grande faveur des acheteuses : sa senteur n’était pas pour peu dans leurs préférences. Mais les faveurs parfois appointées des coquettes jetèrent le discrédit sur cette fragrance.
Le parfum du patchouli revint à l’assaut de l’Europe un siècle plus tard en devenant le blason olfactif des hippies, car il exhalait l’Inde avec ses couleurs vives, ses dieux conciliants et ses orviétans psychotropes autant qu’imaginaires.
Cette disgrâce de réputation fut aussi imputable à la puissance odorante naturelle du patchouli, qui fit le lit de bien des parfums de qualité modique. Le patchouli pâtissait donc en Occident non seulement d’une sale réputation, celle de l’amour, la pire, mais encore de son mauvais traitement par des parfums de basse extraction. Le patchouli filait un mauvais coton.

De grands parfums, souvent novateurs, ont réhabilité le patchouli dont la note de fond tenace a cette qualité de rehausser les autres ingrédients de l’accord olfactif. Sa présence fait rarement défaut aux formules des parfums dits chyprés, boisés ou orientaux. Mais c’est surtout la chimie qui rétablit l’aloi de cette plante en parfumerie, par un fractionnement plus fin consistant à redistiller ses essences afin d’en adoucir leurs phases les plus saturées. Le patchouli de parfumerie est ainsi affiné afin d’être travaillé avec plus d’exactitude.

Pour la composition du parfum Tempo centré sur le patchouli (qui constitue un pan du diptyque parfumé, l’autre étant Fleur de Peau à la note centrale de musc, fêtant les cinquante ans de création de parfum de la Maison), trois extractions différentes ont été mises en résonance olfactives. Son patchouli d’Indonésie a été cultivé dans le cadre du programme « Origination » de Givaudan, qui développe des filières d’approvisionnement de matières premières naturelles via des partenariats éthiques et durables en assurant sa plus noble qualité. La production de patchouli demeure artisanale et de faible quantité. Par ailleurs, l’étalonnement par fractionnement de son spectre parfumé décuple son coût, et en raréfie d’autant la matière.

Tandis que le patchouli traversait ses infamants avatars européens – toujours aux dépens des femmes il va sans dire – jusqu’à ce que la science vienne laver son honneur, la plante ne perdit jamais de sa haute considération en Asie, de L’Inde à la Chine. Son parfum y est traditionnellement souvent décliné en encens, mais surtout la plante est riche de vertus médicinales, particulièrement dans l’Ayurvédique, et jusqu’à sa prédisposition à l’amour, certaines macérations alcoolisées au patchouli étant proposées en Malaisie pour la nuit de noces.

Le caractère notablement sensuel de l’odeur du patchouli provient de sa profusion et de son ampleur. Elle émotionne l’odorat en le provoquant de stimuli qui le grisent et le saturent tout à la fois. Mais l’on sait dorénavant le traiter en parfumerie avec un raffinement à la hauteur de son intensité aux pénétrantes ambivalences, qui en exalte les complémentarités en les équilibrant.