Paris Américain

15.09.2017
Le Dingo bar - Rendu célèbre par Ernst Hemingway dans « Paris est une fête »,  au comptoir duquel il rencontra Francis Scott Fitzgerald.

Le Dingo bar - Rendu célèbre par Ernst Hemingway dans « Paris est une fête », au comptoir duquel il rencontra Francis Scott Fitzgerald.

Paris Américain, par Julia Kerninon

« Good Americans, when they die, go to Paris » (Oliver Wendell Holmes)

Il était une fois une ville appelée Paris, qui, bien que située depuis toujours sur le sol français, était américaine. Elle existe d’ailleurs encore, d’une certaine façon – avec un peu d’imagination, la force de la mémoire nous ramène au début du XXème siècle, lorsqu’en 1903, une jeune héritière orpheline de Pennsylvanie nommée Gertrude Stein s’installe rue de Fleurus avec son frère Leo. Ensemble, ils vont amasser une incroyable collection de tableaux – Matisse, Picasso, Juan Gris, pour n’en citer que quelques uns – et Gertrude va également commencer à écrire. Vingt ans après son installation dans la capitale, elle recevra la visite régulière d’un jeune inconnu nommé Ernest Hemingway, qui vit alors avec femme et enfant rue du Cardinal-Lemoine, et écrit, lui aussi, dans une petite chambre qu’il loue rue Mouffetard. Hemingway fréquente également le poète Ezra Pound, qui vit rue Notre-Dame-des-Champs, et F. Scott Fitzgerald, qui vit un temps au 14, rue de Tilsitt, avec sa célèbre épouse Zelda et leur petite fille, avant d’élire domicile sur la Côte d’Azur où il mettra les derniers mots à son roman, Gatsby le Magnifique. Un petit groupe littéraire gravite ainsi autour de deux pôles : le salon de Gertrude, et une librairie américaine, Shakespeare and Company, située au numéro 12 de la rue de l’Odéon, dirigée par l’étonnante Sylvia Beach qui sera, en 1922, la première à publier Ulysse, de James Joyce. La Génération Perdue n’a cependant pas le monopole de l’expatriation à Paris : en 1925, William Faulkner est également là – il vit à l’hôtel, ne fréquente aucun de ses compatriotes, préférant s’asseoir sur les bancs du Jardin du Luxembourg ou assister à la messe à Saint-Sulpice. Henry Miller, quant à lui, vient pour la première fois à Paris en 1929, et s’y installe réellement l’année suivante – il fréquente le Wepler, dort chez les uns et les autres, avant de faire la connaissance d’Anaïs Nin qui le prend sous son aile amoureuse et financière. Grâce à elle, il quittera Clichy pour la très moderne villa Seurat, qui dispose, véritable luxe pour l’époque, d’une baignoire et du chauffage central. Ces écrivains vont faire de Paris une sorte de contrée littéraire, vers laquelle les écrivains de la jeune génération vont recommencer à affluer dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, dans l’espoir de faire leur éducation dans les traces de leurs aînés. Ainsi, James Baldwin débarque à Paris en 1948, à vingt-quatre ans, avec 40 dollars en poche, et il écrira son premier roman au Café de Flore. Arrivé la même année, Richard Wright finira sa vie entre Paris et la Normandie, tandis que James Jones demeurera 16 années à Paris, dans son appartement de l’île de la Cité, avant de rentrer vivre à Sagaponack, Long Island. Laissons cependant le mot de la fin à Ernest Hemingway, qui écrit, dans Paris est une fête : « Il n’y a jamais de fin à Paris et le souvenir qu’en gardent tous ceux qui y ont vécu diffère d’une personne à l’autre. »

Julia Kerninon est Docteur en études anglophones et écrivain.