Le paquet japonais selon Roland Barthes

23.12.2016
Roland Barthes, Dessin, 14 août 1975 (Département des manuscrits de la Bibliothèque Nationale de France)

Roland Barthes, Dessin, 14 août 1975 (Département des manuscrits de la Bibliothèque Nationale de France)

LE PAQUET JAPONAIS SELON ROLAND BARTHES, par Éric Marty

Dans la somptueuse évocation du Japon que déploie L’Empire des signes, le paquet occupe une place particulière, celle de faire transition entre le monde du quotidien (les baguettes, la nourriture, le pachinko…) et le monde de l’art (le Bunraku, le haïku, l’écriture…). Il est vrai que, dans un univers où les signes sont partout, ces deux mondes ne sont pas totalement séparés. Mais, ce n’est sans doute pas un hasard s’il y a tout de même des séries et si, dans ces séries, il y a des places, et sans aucun doute un ordre. Le paquet japonais appartient tout à la fois au quotidien (par son contenu) et au monde esthétique par cet art inouï qui a fasciné Barthes : art de faire, de concevoir des contenants sophistiqués qui, la plupart du temps, surpassent ce qu’ils contiennent.

Comme dans certains arts – par exemple la danse – tout est dans la manière, et rien, ou parfois si peu, dans le message : « […] cette enveloppe, souvent répétée (on n’en finit pas de défaire le paquet), recule la découverte de l’objet qu’elle renferme – et qui est souvent insignifiant, car c’est précisément une spécialité du paquet japonais, que la futilité de la chose soit disproportionnée au luxe de l’enveloppe. »

Le paquet japonais fascine Barthes parce qu’il est parfait. Mais qu’est-ce la perfection dans l’univers barthésien ? Tout d’abord, c’est une façon d’être là, c’est-à-dire une présence. Et cette présence, le paquet japonais l’affirme par la précision, la netteté, la matité de sa forme. D’une certaine manière alors le paquet troue l’espace où il est posé tout comme le bouquet japonais que Barthes admire, par-delà le symbolisme codé que tant de manuels savants attribuent aux fleurs, pour le sens des interstices, de la combinatoire, de la circulation de l’air. Ainsi, la perfection, c’est en second lieu l’autonomie : « l’enveloppe, en soi, est consacrée comme chose précieuse, quoique gratuite. »

Cette perfection n’est pas simplement de l’ordre de la technique (nouer, coller, plier, envelopper), elle porte en elle une métaphysique précieuse. Si le paquet est somptueux, alors son message pourrait bien être « Ne m’ouvrez pas ! », et dès lors c’est à un autre temps, le temps particulier du cadeau, que le paquet peut conduire, où l’on remet à plus tard le moment de le défaire : « comme si la fonction du paquet n’était pas de protéger dans l’espace mais de renvoyer dans le temps. »

Un temps admirable, celui de l’attente, de la délicatesse, du secret, où la curiosité de savoir est suspendue au profit d’un autre de plaisir que l’Occident néglige, où la contemplation est plus intense que toute possession.

 

Éric Marty, écrivain et professeur de littérature française contemporaine à l’Université Paris VII – Diderot, est l’éditeur des œuvres complètes de Roland Barthes.