L’optophonétique du poète Raoul Hausmann, présentée par Cécile Bargues

« Il arrive assez souvent qu’une même invention soit faite plusieurs fois », écrit Raoul Hausmann dans Courrier Dada. Au sein de Dada Berlin, dont il compte parmi les étoiles les plus brillantes, rien n’avait d’abord filtré, raconte Hausmann, des moments magiques du Cabaret Voltaire. Ainsi ne savait-il pas qu’Hugo Ball était apparu à Zurich en « évêque magique » sur la scène pour réciter  des « mélopées abstraites » (« gadji beri bimba ») et retrouver « le ton des très anciennes lamentations sacerdotales ». En 1918, Hausmann déclame donc des « poèmes de lettres » qui mobilisent, au travers des variations du souffle et de la voix, tout le corps pour être dits. Cette poésie sans mots constitue l’un des traits saillants de Dada. Même si les communications sont difficiles (Berlin vivant à l’heure de la révolution spartakiste), Hausmann ne pourra ensuite qu’approuver la volonté de Ball de s’échapper d’une langue « devenue impraticable », parce que « ravagée par le journalisme. » Mais là cesse toute connivence. Hausmann, radical, très loin de toute prière, fût-elle bruitiste, désosse concrètement le langage jusqu’au plus petit élément, c’est-à-dire la lettre même, laquelle constitue son « matériau nouveau » et la base de ses poèmes optophonétiques. « Optophonétique » : le terme rend bien la combinaison du visuel et du sonore qui le caractérise. Ainsi dans Kp’erioum, où la taille des caractères indique l’amplitude vocale, tout en réalisant une typographie magistrale. Raoul Hausmann « a révélé la surprise et la joie de Dada dansant avec la typographie », écrit Brion Gysin. Gysin sera l’inventeur du cut-up (couper dans la langue des médias) développé avec William Burroughs, et de la cream-machine avec Ian Sommerville. Ajoutons qu’on doit encore à Hausmann un optophone, c’est-à-dire une machine capable de transformer les sons en lumières colorées, et réciproquement. S’il en avait déposé le brevet avec un ingénieur nommé Daniel Broïdo, elle ne fut à proprement parler jamais réalisée. Peut-être pourrait-on avancer que cet optophone mythique est notre plus efficace machine à rêver.

Historienne de l’art, Cécile Bargues est spécialiste de Dada et de l’œuvre de Raoul Hausmann