Œuvres d’arbres

21.12.2015
"Le Pré de l’Entre-Deux" par Christian Lapie (2003 [2002]) Chênes traités à la créosote, dimensions variables, hauteur maximum 8m
Œuvre publiée dans Colette Garraud, L’Artiste contemporain et la nature, Hazan, Paris, 2007 (Provenance : Galerie Alice Pauli, Lausanne)

"Le Pré de l’Entre-Deux" par Christian Lapie (2003 [2002]) Chênes traités à la créosote, dimensions variables, hauteur maximum 8m Œuvre publiée dans Colette Garraud, L’Artiste contemporain et la nature, Hazan, Paris, 2007 (Provenance : Galerie Alice Pauli, Lausanne)

Il se dit que l’occasion fait le larron, mais il pourrait parfois se dire aussi que l’infortune fait l’opportunité, que l’épreuve fait l’œuvre, le drame la trame et, en l’occurrence, que la calamité fait la fécondité : c’est ainsi que Elizabeth et Philippe d’Hémery muèrent un fléau en beauté.

Muer signifie transformer, et également changer de bois (chez les cervidés) : le verbe est propice. En 1999, deux tempêtes frappèrent la France au Nord et à l’Est. Meurtrières d’abord, ses rafales ravagèrent plus de cent millions d’arbres. Le parc de la propriété familiale de Philippe d’Hémery a été sévèrement touché. De grands et admirables chênes multi-centenaires, appréciés de père en fils, gisent au sol. Le propriétaire est dévasté, son parc jonché de géants. Ce sera son épouse Elizabeth qui suggèrera l’idée de faire appel à des artistes pour que ce bois mort soit la glaise d’une vie nouvelle : que sa matière ressuscite, qu’elle soit la sève d’œuvres d’art in-situ.

Ils contactèrent alors Andy Goldsworthy, artiste représentatif du land art, mouvement d’art contemporain sollicitant des matériaux naturels dans des cadres exposés aux aléas météorologiques, à l’érosion, au temps qui ronge. L’artiste travaille à même les matériaux, sans presqu’aucun outil. C’est un nom qui compte. Il répond derechef à l’invitation. Un lien fort se scelle. Il bâtit un cairn, monticule d’assemblage précis, qu’il nomme Pool of Light. D’autres artistes, tous sculpteurs de renom, accourent au parc au fil des mois : Joel Shapiro, connu pour ses transcriptions de mouvements au moyen de formes élémentaires, souvent rectangulaires. Antony Gromley, Christian Lapie qui semble forger le bois et en érige des figures fantomatiques démesurées, Erik Samakh, dont les travaux entre matériaux bruts et technologies invitent à l’écoute, souvent littéralement par des sonorités telles que celles émises par ses flutes solaires qu’il a disposées dans le parc. 

Le cimetière d’arbres est devenu une aire d’art. Voilà de quel bois se fait l’œuvre en art : de mort, de mémoire et d’un savoir des métamorphoses.

 

L’histoire des d’Hémery provient de l’ouvrage Collections Particulières, dirigé par Nadia Candet et publié chez Flammarion en 2008.

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