Notes et signes

17.06.2016
Sports et divertissements, partition imagée d’Erik Satie (1886-1925)

Sports et divertissements, partition imagée d’Erik Satie (1886-1925)

Notation musicale et calligrammes, par Karine Le Bail

« Le compositeur, c’est d’abord un calligraphe » (Igor Stravinsky)

Des neumes utilisés pour la notation musicale au Moyen Âge aux partitions imagées d’Erik Satie pour son œuvre Sports et divertissements le geste calligraphique du compositeur porte en lui un double système de signes. Il est bien sûr le code d’interprétation commun, au même titre que l’écriture. Mais il suffit d’admirer l’intense expressivité des partitions des Pièces pour clavecin de François Couperin, avec leurs barres de croches aux lignes heurtées ou délicieusement courbées, pour voir dans le « dessin musical » ce que le poète Guillaume Apollinaire, voulant désigner la poésie visuelle, avait tout d’abord appelé les idéogrammes lyriques avant d’inventer le mot de calligramme. Avec son étymologie remontant au grec kalos (la beauté) et gramma (la lettre), le calligramme fait en effet « dire au texte ce que représente le dessin » (Michel Foucault), tout comme la graphie du compositeur laisse passer, par-delà la dimension formelle de la notation musicale, une intention personnelle.

Si bien qu’en dépit de la stabilisation, à partir du XVIIe siècle, de la notation musicale, avec la fixation d’une norme commune, les compositeurs n’ont jamais cessé d’inventer ornements et signes, comme autant de calligrammes musicaux marquant leur irréductible liberté de créateurs.
À partir du XXe siècle, les compositeurs s’affranchissent toujours davantage de la notation classique. On pense aux tableaux abstraits des partitions de Brian Ferneyhough, comme ccelle de Unity Capsule , pièce pour flûte solo, aux branches d’arbres dessinées par Luigi Dallapicolla pour son Concerto fatto per la notte di Natale dell’anno ou encore aux rectangles de la partition de Morton Feldman Projection 3, pour deux pianos.
Aujourd’hui, les musiques électroniques, le live coding ou encore le Soundpainting invitent à de nouvelles formes d’écriture, rendant le mot de Stravinsky sur le compositeur-calligraphe toujours plus actuel.

 

Karine Le Bail est historienne (CNRS / EHESS) et productrice de l’émission « À pleine voix » sur France Musique.