Musique cosmique (I)

25.07.2016
Karlheinz Stockhausen à l'université d'été de Darmstadt, en Allemagne (probablement en 1957).

Karlheinz Stockhausen à l'université d'été de Darmstadt, en Allemagne (probablement en 1957).

Karlheinz Stockhausen fut une grande figure musicale du siècle passé par son art, sa pensée, son dessein et son influence. Les fondateurs de diptyque l’admiraient et étaient de tous ses concerts parisiens. La réflexion profonde et utopiste du compositeur sur la « world music » illustre sa vision d’un humanisme œcuménique, c’est-à-dire  « qui s’étend sur toute la terre habitée. »

La pensée du musicien est complexe : elle convoque plusieurs champs de connaissance et associe l’analyse à la prospective. Il s’y exprime en tant que musicien et savant ; en tant qu’intellectuel considérant les changements de son temps ; en tant que croyant pénétré de l’idée que les diversités du monde manifestent une unité originelle que l’humanité doit apprendre à exprimer de manière nouvelle ; en tant que prophète de la musique dont les vibrations transcendent toutes les particularités et édifient l’âme de tout être humain ; enfin en tant qu’autorité de son époque dont le statut l’engage à proposer une direction à l’humanité en s’adressant aux musiciens parmi celle-ci. Pas de pose imbue d’oracle pourtant mais la voix d’un homme engagé par sa vocation de compositeur.

Stockhausen considère d’abord les effets de la globalisation qui mettent les cultures traditionnelles en contact avec la culture occidentale. Cette dernière les corrompt et les fait disparaître. De toute façon, les arts qui ont cristallisé en une forme déterminée – procédant d’une culture, de rites, de types d’instruments – sont voués à la destruction.

Le processus de dissolution de ces idiosyncrasies culturelles causé par la planétarisation des communications prédispose à une sorte de culture mondiale : mais celle-ci n’est alors qu’une sorte de delta dans lequel se jettent toutes les cultures mourantes, produisant une forme musicale uniforme, creuse et sans individualité. Cependant, elle est riche d’une énergie et d’une conscience qui pourront donner naissance à de nouvelles formes d’art intéressantes. A une condition pourtant : que les structures de composition musicale soient assez souples pour permettre la véritable invention. La musique occidentale est un exemple d’uniformisation des techniques de compositions qui a donné naissance à d’innombrables formes musicales singulières.

Pourtant cela n’est pas encore suffisant : cette considération technique du compositeur se double d’une considération spirituelle. Toute musique, la plus isolée et traditionnelle, peut émouvoir tout être humain. Car tout homme porte toute l’humanité en lui. Car les vibrations de toute musique excèdent sa forme (sonorités, instruments, rythmes, séquences qui formalisent un type musical) : si une forme musicale est localisée et contextualisée, ses vibrations sont universelles. Ces dernières offrent à chacun la découverte d’une identité profonde qui préexiste à son ancrage historique, géographique et culturel.

[à suivre…]