Le motif d’art contemporain

07.10.2016
François Morellet (1926-2016), 4 doubles trames 0°-22°5-45°-67°5, 1958. Copyright : © Christie’s images, 2016

François Morellet (1926-2016), 4 doubles trames 0°-22°5-45°-67°5, 1958. Copyright : © Christie’s images, 2016

Le pattern dans l’art contemporain, par Paul Nyzam

À rebours de la figure romantique de l’artiste – visionnaire et démiurge – de nombreux plasticiens du XXe siècle se sont employés à développer un langage démystifié, où l’artiste s’efface au profit d’un système, d’une trame ou d’une règle, et où l’œuvre, volontiers déclinée en séries, gagne une autonomie par-delà la volonté de son créateur. Il faut dire que les artistes ont dû prendre acte d’une époque désormais marquée par la reproductibilité technique de l’art, pour reprendre les mots devenus célèbres de Walter Benjamin. Lorsque fleurissent la photographie et le cinéma, quand prospèrent l’imprimerie et la production industrielle de biens manufacturés, alors les pratiques s’adaptent à leur nouvel environnement.

Ces réflexions infusent bien des courants artistiques du siècle passé et ont engendré des formes parfois fort éloignées les unes des autres.  C’est le cas du Pop Art qui, par le procédé de la production sérielle d’œuvres à l’encre sérigraphique, fait écho à la consommation de masse qui caractérise l’Amérique des années 1960. Quand il expose ses trente-deux Campbell’s Soup Cans, toutes du même format et alignées les unes à côté des autres comme sur l’étagère d’un rayon de grande surface, Warhol imprime l’image de la boîte de soupe dans la rétine du spectateur par un effet de répétition jusqu’à la saturation, semblable aux méthodes de la publicité. À l’autre bout du spectre, c’est aussi le cas du minimalisme, qui émerge à la même époque en réaction à l’expressionnisme abstrait. Les déclinaisons de formes réduites à leur plus simple expression – lignes parallèles et carrés concentriques chez Frank Stella ; parallélépipèdes métalliques chez Donald Judd ; cubes de bois, carreaux de cuivre et d’aluminium chez Carl André ; néons industriels chez Dan Flavin – répondent à l’exigence du « less is more » en ôtant à l’art toute dimension symbolique et cantonnant l’œuvre à sa seule réalité matérielle : lignes, formes, couleurs ; rien d’autre.

En France, c’est François Morellet qui aura été le tenant, jusqu’à sa disparition en mai dernier, d’un art procédant exclusivement d’un système, régi par des principes déterminés à l’avance. Marqué par les motifs de l’Alhambra de Grenade qu’il découvre en 1952 et dont il dira qu’il s’agit de « l’art le plus intelligent, le plus précis, le plus raffiné, le plus systématique qui ait jamais existé », empruntant à la géométrie et aux mathématiques, il définit ainsi des règles d’agencement des formes et des lignes (superpositions, juxtapositions, rotations, décalages, ruptures) en amont de la réalisation de ses œuvres. Utilisant la règle, la roulette ou le compas – autant d’instruments qui sont davantage ceux de l’ouvrier que de l’artiste – et couvrant l’ensemble de ses toiles de façon uniforme, Morellet réalise des compositions en all-over qui abolissent les notions de premier et d’arrière plans, les lignes d’horizons, les effets de profondeur, les centres et les marges. Le motif, autonome, se décline dès lors à l’infini et semble prêt à se prolonger au-delà des limites de la toile.

Morellet et ses contemporains ont ainsi ouvert la voie, dès les années 1950 et 1960, à une génération d’artistes qui prolongent aujourd’hui ces explorations en y ajoutant les problématiques propres à l’ère numérique. On citera par exemple Wade Guyton (et ses impressions à jet d’encre jouant des bavures et des erreurs), Kelley Walker (répliquant à l’excès des images issues des médias de masse) ou Mark Grotjahn (et ses déclinaisons autour du motif centrifuge), qui chacun à leur manière réalisent des œuvres où la question du motif et de la répétition est au cœur du processus de création.

 

Paul Nyzam est spécialiste en art contemporain chez Christie’s.