Morvarid K.: “Preserved for a better day”

30.06.2017
'Preserved for a better day' (11), de Morvarid K. (© Morvarid K.)

'Preserved for a better day' (11), de Morvarid K. (© Morvarid K.)

Morvarid K.: “Preserved for a better day”, par Nathalie Parienté

“… C’est le problème du temps qui nous touche plus que les autres problèmes métaphysiques. Car les autres problèmes sont abstraits. Le problème du temps est notre problème. Qui suis-je ? Qui sommes-nous ? Peut-être le saurons-nous un jour. Peut-être que non. Mais entre-temps, comme dit Saint-Augustin, mon âme brûle, car je désire le savoir.” (Jorge Luis Borges, Conférences, Gallimard Paris, 1985.)

L’image photographique, dès lors qu’elle apparaît, est teintée d’une coloration particulière, celle des grands thèmes humains, ceux de la métaphysique, tels des amis réunis pour lui constituer un destin : le rapport à la réalité, à la vérité, au non-dit, au silence, à l’absence,  mais surtout elle se réfère, dès son origine, à la notion de temps.

Le travail de l’artiste iranienne Moravrid K. née en 1982 à Téhéran, cristallise intuitivement ces données.

Dans le corpus de 15 images réalisées en 2013 et intitulé « Preserved for a better day », Morvarid K. raconte la vie quotidienne des habitants de Téhéran : un enfant pose en gants de boxe dans un salon, des amis bavardent sur un toit de la ville, lieu de rencontre si habituel aux habitants de la capitale iranienne, une jeune femme mollement étendue sur son canapé fume une cigarette, une autre, pensive devant une fenêtre, tient un verre d’eau à la main, une autre encore est assise au bord d’une piscine vide. Seulement voilà : tous sont recouverts d’un linge blanc, similaire à ceux que l’on posait autrefois sur les meubles de sa maison avant un voyage, succession d’images se transformant en une chorégraphie incongrue.

Cependant, le corps et le visage étant cachés, le rapport avec une certaine réalité, de nature politique, nous rattrape. L’image voilée, soumise, empêchée, censurée…

Mais Morvarid nous emmène ailleurs : « Ces personnages, on les devine plein de vie, de gaité, peut-être sont-ils juste en attente d’un jour meilleur ». 

« En attente d’un jour meilleur… » : La dimension du temps revient à la surface.

Les personnages, comme mis entre parenthèse, prennent la pose et font une pause. Ils semblent capturés par ce linge blanc. Je m’interroge : n’est-ce pas ce point précis, indéfinissable, celui de l’instant présent, cet instant entre deux instants, ni passé, ni futur, ni peut-être même tout à fait présent sur lequel l’artiste concentre toute son attention, qu’elle observe et dissèque ?

Le linge blanc qui les enveloppe, interrompant leur relation avec le monde extérieur, n’est-il pas une métaphore du manteau recouvrant la chambre noire, autre instrument de séparation utilisé par les premiers photographes.

Finalement, « Preserved for a better day », ne serait-elle pas une allégorie de la Photographie ?

Et la Photographie, dans sa recherche effrénée du temps présent, dans son désir de l’observer, l’extraire, le matérialiser, ne serait-elle pas par définition, l’art de la séparation ?

 

Nathalie Parienté est historienne de l’art et commissaire d’exposition. Actuellement, elle prépare une exposition consacrée à l’artiste américaine Ida Applebroog, avec le Centre José de Guerrero de Grenade. www.nathaliepariente.com

 Morvarid K. artiste photographe, vit entre la France et l’Iran.
Du 24 avril au 1er mai 2017, elle participe à la Première Edition du Salon de la Photographie Documentaire à Paris.
Du 11 au 13 mai 2017, elle participe à Dock 11 à Berlin, à la Performance “E-rase M E-go” une expérience d’univers parallèles, avec Lisa Stertz (Allemagne), Sajan Mani (Inde), et Yuko Kaseki (Allemagne/Japon). www.morvarid-photography.com