Messe pour le temps présent

20.04.2018
Messe Pour le Temps Présent, ballet créé par Maurice Béjart (01-1967-©jlggb)

Messe Pour le Temps Présent, ballet créé par Maurice Béjart (01-1967-©jlggb)

 Messe pour le temps présent, par Karine Le Bail

 En 1967, dans l’enceinte du palais des Papes, un Ballet-Messe fait l’effet d’une bombe. Pour la première fois au festival d’Avignon, la danse fait irruption. Maurice Béjart y présente son ballet Roméo et Juliette d’après l’œuvre d’Hector Berlioz, créé un an auparavant et qui a fait scandale avec ses danseurs sur scène proclamant « Faites l’amour, pas la guerre ». Mais c’est la création de La Messe pour le temps présent, sur une musique de Pierre Henry et de Michel Colombier, qui saisit le public.

Sorte de liturgie terrestre, de radiographie de l’homme à la recherche de Dieu, le ballet est conçu comme une « cérémonie » en neuf épisodes – « Le Souffle » ; « Le Corps » ; « Le Monde » ; « La Danse » ; « Le Couple » ; « Mein Kampf » ; « La Nuit » ; « Le Silence » ; « L’Attente ».

Pour commencer, quelques êtres épars devant l’immense mur du palais des Papes. Ils ne bougent pas, tandis qu’un souffle seul se fait entendre : d’où provient-il ? Signifie-t-il la naissance de l’homme à la vie ? Puis, voici « Le Corps » et son plateau baigné de lumière, deux danseurs en collant rose s’exerçant à la barre et prenant conscience de leur corps, tandis qu’au milieu un homme assis, les jambes croisées, dit un texte de Bouddha…

Au total, neuf scènes. Neuf « cérémonies du monde » qui défilent, entre jeunes gens en salopettes lisant des journaux, incarnation du « Couple » au travers d’un pas de deux entre Jorge Donn et Laura Proença en collants blancs dans la nuit, surélevés sur un promontoire blanc, « Mein Kampf » sur des marches nazies sales et vulgaires mêlées à la voix d’Hitler, ou bien encore « La Nuit », où la danse s’affirme comme discipline suprême imposée au corps, selon le mot de Nietzsche qui sert d’exergue à l’œuvre, « Je ne pourrais croire qu’à un Dieu qui saurait danser ».

Pour la postérité, c’est évidemment la ronde superbe et effrénée entre garçons et filles du « Psychè Rock » qui a fait le tour du monde. Mais à Avignon, lorsqu’après « Le Silence » et « L’Attente » inspirés du Livre des morts tibétain et symbolisant le retour définitif de l’âme à elle-même avant l’épreuve suprême de la mort, le plateau est longtemps resté vide avant que les êtres-danseurs ne reviennent sur scène dans un silence absolu, regardant devant eux tandis que la salle s’éclairait, 3 500 spectateurs sont restés sous le choc.

 

Karine Le Bail est historienne (CNRS / EHESS) et productrice de l’émission « À pleine voix » sur France Musique.