Le masque de fer

10.08.2018
Gravure de l'époque de la Révolution française

Gravure de l'époque de la Révolution française

Masque de mystère plus que de fer : le thème estival de memento sur les masques ne peut détourner le regard du plus célèbre et tragique de tous. Son histoire est celle d’un secret d’Etat qui devint la source de toutes les conjectures historiques comme romanesques.

Le masque est aussi illustre que celui qui le portait demeura inconnu. « Le masque de fer » désigne ainsi son propriétaire, quoique le terme induise en erreur : l’homme derrière le masque ne s’appartenait pas et demeura prisonnier sa vie durant.
Les faits sont suffisamment avérés et l’énigme qu’ils recouvrent suffisamment intrigants pour attiser toutes les thèses et abreuver l’imagination. Un homme demeura prisonnier en diverses prisons d’Etat françaises de 1669 à 1703. La mort seule le libéra de sa captivité de 34 années. Il était sous la garde et la responsabilité de Bénigne Dauvergne de Saint-Mars, officier de carrière et ancien mousquetaire, lequel était le seul à pouvoir l’approcher, lui parler, mais seulement de choses courantes et en rien qui eût affaire avec sa condition, et lui donner à manger. A la demande expresse de Louvois, ministre de la guerre du monarque Louis XIV, sa cellule particulière devait être précédée de plusieurs portes dont seul Saint-Mars conserverait les clefs, afin que le prisonnier ne pût parler à quiconque. Toute personne qui aurait conversé avec ce prisonnier serait condamnée à mort. Le prisonnier lui-même, s’il venait à s’enquérir expressément des raisons de son sort, était pareillement menacé d’exécution. On sait que lors d’un ses transferts, sa chaise à porteur était hermétiquement close. Car  nul ne devait voir ses traits, ou quelque partie nue de son corps. Il était tenu de porter un masque dès qu’il était hors de sa cellule, ainsi que des gants. Il semblerait que ce prisonnier fut traité avec égard, sans qu’aucune violence ne lui fût faite, quoique l’avarice de Saint-Mars le maintînt autant qu’il put dans les plus frustes conditions possibles.
L’homme dit « au masque de fer » finit ses jours dans la prison de la Bastille, dont le gouvernement avait été accordé à Saint-Mars, mais qui devait continuer à s’acquitter de son devoir, à savoir lui apporter personnellement sa pitance une fois par jour. Autant dire que son geôlier était tout aussi condamné que son captif sans identité. Toutes ses affaires furent brûlées afin que rien ne pût jamais attester de rien à son sujet.

Le mystère fut tel que l’on sait que Malesherbes, ministre sous Louis XVI, puis Napoléon, dépêchèrent leur enquête pour connaître l’identité secrète du prisonnier, très probablement en vain. Les écrivains et romanciers s’en tirèrent beaucoup mieux et semèrent sa légende, tous y allant de leurs propres graines. Dès 1745, un livre intitulé Mémoire de Perse (qui semblablement aux Lettres persanes de Montesquieu, transpose des faits reconnaissables dans un orient imaginaire) avance que ce prisonnier était un fils naturel de Louis XIV. C’est certainement à Voltaire que l’on doit ce si légendaire masque de fer, sous lequel nul n’eût survécu bien longtemps. Le masque était vraisemblablement de velours et intégral. Alexandre Dumas consacra un livre d’enquête à cette énigme, laquelle il inséra dans son grand roman Le vicomte de Bragelonne.

Plus de 48 identités putatives auraient été avancées au sujet de ce mystérieux détenu, dont un frère jumeau de Louis XIV, ou un de ses fils avec Louise de La Vallière, ou un fils illégitime de Charles II d’Angleterre, ou le compte de Vermandois pour avoir souffleté le dauphin… Et jusqu’à des hypothèses aussi farfelues que le surintendant Fouquet en disgrâce, ou d’Artagnan ! Ou Molière !
Selon des découvertes plus récentes, on avance que cet homme derrière le masque se serait appelé Eustache Danger. Mais qui était-ce ? Là encore, les conjectures ont la part belle. Il semble que l’homme ait vécu dans l’entourage du Duc de Beaufort, comme domestique.
Peu après la mort du duc en Crète, Eustache Danger qui devait l’y accompagner, réapparaît à Dunkerque, d’où il est fait prisonnier, pour toujours. Il avait alors une quinzaine d’année. On a avancé que le duc, cousin du roi, ancien frondeur réconcilié avec le monarque, toujours fomentateur, aurait été assassiné sur ordre du roi et que Danger en eût été non seulement le témoin mais en aurait trop su. Or, s’il s’agissait d’assassiner un duc, pourquoi accorder tant d’égard à son domestique ?
Il a aussi été imaginé que ce Danger en savait trop sur les œuvres de prévarications du Cardinal Mazarin. Ou bien, en qualité de valet, aurait-il ouï quelques apartés entre Louis XIV et Charles II d’Angleterre, lequel se serait disposé à devenir catholique et demandait l’appui de la France contre la Hollande ? Or encore, n’était-ce pas assez de faire disparaître tel témoin ? Maintenir un homme prisonnier à vie, et sans aucune relation, est chose fort compliquée, risquée, et qui engage de la dépense.
Mais une autre supposition, aussi crédible que terrible, a aussi été avancée : il a été constaté qu’à partir de 1665 le duc de Beaufort apparaissait dans la comptabilité royale des sommes accordées aux enfants royaux. Il se pourrait qu’un fils du roi ait été confié à Beaufort, en tant que domestique. Officiellement, cet enfant d’environ 11 ans aurait été capturé lors des campagnes auxquelles Beaufort avait participé contre les barbaresques sur les côtes du Maghreb en 1662-1662.
Au vrai, ce garçon aurait été l’enfant naturel du roi avec une femme africaine – et l’on sait qu’il eut des amantes de couleur, et que ce dernier lui aurait trop ressemblé pour n’être pas son enfant, tout en en étant trop physiquement marqué par ses origines d’un autre peuple pour ne pas porter tort à la monarchie. Ainsi fallait-il, si la thèse est juste, cacher à tout regard ses traits comme sa couleur de peau – tout en lui conservant quelque égard du à son origine royale, sans omettre sa parfaite innocence.

Triste masque et tragique destinée d’un homme condamné à vivre et n’être personne, à ne parler à quiconque excepté son gardien, et n’avoir ni nom ni visage, parce que sang bleu ne saurait être noir. Son masque n’était pas de fer, mais la condamnation inique et irrémédiable qui le frappait avait été scellée par un cœur de fer. 

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